Poursuivant sa critique des œuvres de fiction policières, Pierre Bayard s’attaque ici pour la première fois au cinéma avec l’un des grands films d’Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour (1954).
De toute la riche filmographie d’Hitchcock, il y a des films marquants, qui ressortent : Psychose, L’Homme qui en savait trop, Sueurs froides, La Mort aux trousses… Fenêtre sur cour, sorti en 1955 en France, s’inscrivant dans la lignée des huis clos du maitre (Lifeboat, La Corde, Le Crime était presque parfait), bénéficie lui aussi d’une aura et d’une reconnaissance internationale. Pour autant explique Pierre Bayard dès l’ouverture, « le chef-d’œuvre d’Hitchcock a connu un si grand succès […] que s’est trouvée éclipsée une question simple qui aurait dû pourtant être le préalable à toute analyse : le voisin qu’espionnent les personnages joués par James Stewart et Grace Kelly est-il bien un assassin ? »
L’auteur de ces lignes ayant revu le film confirme la pertinence de la question du professeur de littérature française à l’Université Paris 8 et psychanalyste : les deux personnages principaux joués par James Stewart et Grace Kelly ont finalement bien peu de preuves tangibles pour accuser leur voisin du meurtre de sa femme. D’autant plus que celui-ci aurait découpée sa chère et tendre en morceaux devant les fenêtres ouvertes (on est en pleine canicule) d’une trentaine d’appartements. Plus c’est gros et mieux ça passe… A partir de ces doutes légitimes, Pierre Bayard mène l’enquête comme il l’a fait dans ses précédents essais sur des œuvres théâtrale (Enquête sur Hamlet, Œdipe n’est pas coupable…) ou des romans d’Agatha Christie (Qui a tué Roger Ackroyd ? , La Vérité sur « Ils étaient dix »).
Dans une langue claire et précise, Pierre Bayard cherche à déconstruire le « désir de roman qui vit secrètement en chacun de nous » et nous conseille « de nous en tenir aux faits ». L’analyse précise du film conduit à remettre en cause les délires de James Stewart « à la fois un voyeur et un impuissant, travaillé par une angoisse presque insurmontable à la seule perspective d’une vie amoureuse et conjugale « normale », projetant ses propres désirs et fantasmes inavouables dans le spectacle intime des habitants de l’immeuble d’en face. » (Hitchcock – La Totale, Editions E/P/A). Le psychanalyste mobilise le concept de chambre close, d’autres films d’Hitchcock et des concepts définis en fin de livre (délire d’interprétation, syndrome de Münchausen…). Un plaisir de lecture si on accepte de se prendre au jeu.
Hitchcock s’est trompé. « Fenêtre sur cour » contre-enquête, Pierre BAYARD, Les Editions de Minuit, 176 pages, 18 euros