La lecture récente de L’Imaginaire au pouvoir de Vincent Gerber nous avait interpellés sur la place importante à accorder à l’utopie dans le genre littéraire plus large de la science-fiction. Deux romans parus récemment en poche, Eutopia de Camille Leboulanger et Le Ministère du futur de Kim Stanley Robinson, confirment la vitalité du propos politique.
Publié en 2022 aux éditions Argyll, Eutopia est un roman « gonflé », écrit par un jeune auteur de 29 ans, un livre de presque 900 pages dans ce format poche qu’édite J’ai lu. Sur son blog, Camille Leboulanger se justifie de la longueur en arguant qu’Eutopia est un « roman sur tout », un livre qui creuse la question d’une application stricte et totale du communisme, sur tous les domaines de la vie. Et Eutopia se démarque notamment par une approche joyeuse de la chose politique, loin des fameuses dystopies qui finissent un peu toutes par nous déprimer… On suit donc le destin d’Umo, de sa naissance à sa vieillesse. Notre héros évolue à Pelagoya alors que le préambule à la Déclaration d’Antonia est déjà en vigueur, succédant à l’inique Siècle des Camps : « 1. Il n’y a de propriété que d’usage. 2. Toute propriété finit à la mort. 3. Le sol, l’eau, l’air, ainsi que les règnes animal et végétal (dans leur globalité et dans leurs composantes) ne sont pas, ni ne peuvent être ou être considérés comme des ressources. » Etc. Si certains sentiments continuent de traverser Umo (l’amour, l’attachement…), le héros travaille, tombe amoureux et développe ses questionnements sur la chose politique avec son amie Gob. Le roman ne se révèle ni didactique, ni exigeant, porté par l’agréable plume de Camille Leboulanger qui arrive à faire de son Eutopia un manifeste politique porté par l’optimisme et l’intelligence.
Autre utopie, autre pavé : Le Ministère du futur de Kim Stanley Robinson. Publié en format poche en octobre 2024 par les éditions Bragelonne, le roman de l’auteur de la Trilogie martienne avait connu une première parution française un an avant. Encensé par le New York Times, The Guardian ou encore Mediapart, le roman nécessite une lecture attentive. Lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire, le livre commence…en 2025, soit dans un futur très proche. L’agence du Ministère du futur, nouvelle agence des Nations unies, a pour objectif de lutter contre le réchauffement climatique. On y suit sa directrice, Mary Murphy, et les petites décisions qu’elle va peu à peu imposer aux Etats pour contrer ce qui semble inéluctable. Auteur de hard SF (ce courant de la science-fiction très ancré dans une approche scientifique pour coller au plus près de la réalité), Kim Stanley Robinson livre un roman profondément intelligent faisant appel à la philosophie, à la climatologie, aux sciences politiques, etc. Certains trouveront le roman trop long, d’autres trop optimiste (!), mais c’est justement là tout l’intérêt de cette chronique : montrer qu’en science-fiction, on ne doit pas compter uniquement sur la dystopie, mais sur l’utopie porteuse de solutions et d’espoir. Très ancré dans le réel (l’introduction rappelle les fortes chaleurs qu’a subies l’Inde début 2024), Le Ministère du futur nous questionne tout en nous passionnant.
Eutopia, Camille LEBOULANGER, J’ai lu, 896 pages, 12 €
Le Ministère du futur, Kim Stanley ROBINSON, Editions Bragelonne, 680 pages, 9,95 €