Auscultation d’un couple, Bien-être, second roman de Nathan Hill, est décidément l’un des grands moments de cette rentrée littéraire.
Il est là, le grand roman américain de cette rentrée littéraire d’automne. Un pavé d’un peu moins de 700 pages qui rappelle le génie des ouvrages de Philip Roth, John Irving ou encore Jonathan Franzen. Bien-être se concentre sur le couple formé par Elizabeth et Jack, parents du jeune Toby, évoluant dans la banlieue chic de Chicago. Lui est professeur d’art à l’université, elle travaille sur l’effet placebo à la clinique du Bien-être. Mais leur couple, après vingt années passées ensemble, traverse des turbulences : sont-ils vraiment fait l’un pour l’autre ? « La vraie question est de savoir à partir de quand le changement devient insupportable. La question que tu dois te poser, c’est à quel point ton couple peut changer avant de ne plus être fondamentalement ton couple. »
Tout commence au début des années 1990, alors que Jack et Elizabeth sont étudiants et surtout voisins. La fenêtre de l’appartement du premier donne sur celle de la seconde : ils s’épient sans se connaître, tout en échafaudant des plans sur la comète. « Lui, elle a l’étrange impression de le reconnaître, comme s’il était doté d’une qualité importante qu’elle recherche sans pour autant pouvoir la nommer. » La rencontre a finalement bel et bien lieu lors d’un concert auquel Elizabeth assiste lors d’un date, tandis que Jack se charge de prendre des photos du groupe. Étudiante en psychologie, elle pose des questions dérangeantes (« Sur une échelle de un à dix, tu dirais que tes parents t’ont aimé comment ? ») pour mieux comprendre son voisin. C’est le coup de foudre, et sûrement le plus bel incipit de cette rentrée littéraire.
Les années passent et les questions se posent, alors que Toby mène la vie dure à ses parents et que l’achat d’un appartement sur plan pose d’importants problèmes. Jack « avait peur que les exigences de la parentalité n’aient lentement mais sûrement eu raison du romantisme et fait basculer leur mariage vers une union dévolue à la gestion administrative de la famille ». Nathan Hill fait naître les querelles, les non-dits, les reproches, les interrogations sur la vie à deux. Mais là où le roman pourrait paraître classique (disséquer la vie d’un couple, ce n’est pas nouveau), l’auteur fait de constants allers-retours entre la jeunesse des deux personnages et leur vie de couple actuelle. Le véritable sujet de Bien-être apparaît alors : non pas la difficulté de vivre à deux, mais plutôt ce que les gens cherchent dans une relation en fonction des traumas qu’ils ont subi jeunes.
Si l’on peut reprocher à Nathan Hill deux longueurs (sur le passé de la famille d’Elizabeth et sur les algorithmes), reconnaissons à cet auteur un immense talent de conteur, talent qu’il avait déjà prouvé avec son premier roman, Les Fantômes du vieux pays. Le livre se découpe en grands moments épiques, comme ce chapitre intitulé « Le craquage », truffé de références à des études de psychologie, ce passage dans une boîte échangiste ou encore cet incipit que nous avons déjà évoqué… Roman malin que ce Bien-être, mais également roman drôle, profond et rythmé. Bref, vraiment tout ce qu’on est en droit d’attendre d’un grand livre.
« Tous les couples ont une histoire qu’ils se racontent sur eux-mêmes, une histoire qui ronronne sous eux comme une sorte de moteur et les guide, à travers les écueils, vers l’avenir. Pour Jack et Elizabeth, cette histoire était leur coup de foudre, deux rêveurs découvrant leur moitié, deux orphelins trouvant un foyer, deux être qui se comprenaient – qui étaient simplement là l’un pour l’autre.
Mais les histoires n’ont de pourvoir que tant qu’on y croit et, assise là, pendant qu’elle regardait Toby manger avec entrain, Elizabeth se demanda si leur histoire n’était pas en fait un placebo de plus, embellie pour les besoins de la cause, une fiction à laquelle ils avaient cru parce qu’elle leur faisait du bien et les rendait uniques. »
Bien-être, Nathan HILL, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, Gallimard, Collection Du monde entier, 688 pages, 26 euros.
Illustration : © Couverture du livre