2 x Perec : « Jeux » et « Les Choses »

Jeux : A vos crayons !

Les Editions du Seuil ont la bonne idée de regrouper, dans un seul ouvrage intitulé Jeux, la totalité des jeux, devinettes, mots croisés, etc. de Perec disséminés dans Perec/rinations, Jeux intéressants et Nouveaux Jeux intéressants. Perec/rinations pourra laisser de côté les provinciaux car l’ouvrage se révèle être parisiano-parisien centré, comme le fut Perec tout au long de sa vie, ainsi que ses textes (Un homme qui dort, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien…). On croise ainsi dans ce premier ouvrage, qui « nous offre, sous les apparences d’un jeu de piste ou d’un Paris mode d’emploi, un reflet miniature, jubilatoire et fidèle de son travail d’écrivain » (Bernard Magné), des mots croisés, des devinettes, des trajets à inventer… Au-delà des jeux eux-mêmes, Perec prend un malin plaisir à relever des anecdotes sur la vie de la capitale et son histoire : il reproduit plusieurs petites annonces immobilières de 1670, cherche à droite et à gauche des records, déroule en une page l’histoire de l’imprimerie au Grand Siècle.

Jeux intéressants et Nouveaux Jeux intéressants se révèlent plus abordables pour celles et ceux qui ne connaissent pas tant Paris. Les jeux sur le langage côtoient les jeux de chiffres et les jeux logiques. On devra tantôt déplacer des allumettes, réaliser des anagrammes, compléter des grilles de mots croisés sans noirs, déchiffrer des rébus… Inventés pour le revues Ca m’intéresse, Jeune Afrique et Jeune Afrique Economie de mars 1981 à juillet 1982, ces jeux, réalisés en collaboration avec Jacques Bens, voient tout le talent et l’esprit malin de Perec se déployer. Les jeux, destinés à un public jeune, reprennent des classiques. « Georges Perec a fait du jeu une des métaphores privilégies du rapport qu’il souhaitait entretenir avec ses lecteurs, ne cessant de rappeler qu’écrire était un jeu qui se jouait à deux. »

« Avec les lettres du mot « AFRIQUE » (A, E, F, I, Q, R, U), pouvez-vous fabriquer au moins vingt verbes à l’infinitif ? C’est beaucoup plus difficile qu’on ne pourrait le croire. »

Les Choses : Et la société de consommation fut

Les éditions Julliard publient à nouveau le roman caustique de Georges Perec sur la société de consommation, Les Choses, paru initialement en 1965. Récipiendaire du prix Renaudot, le roman n’a rien perdu de sa force destructrice, de son ironie mordante et de son regard acéré sur ce que vivre veut dire. Les Choses s’intéresse à Sylvie et Jérôme, deux enquêteurs pour des agences d’opinion, résidant à Paris. Leur vie peut se résumer à une accumulation de bonheurs simples, mais avant tout matériels (voir l’incroyable incipit qui voit l’œil du narrateur se déplacer d’objet en objet au cœur de l’appartement du couple). Le jeune couple va dans les cinémas du Quartier latin, chine aux Puces, s’arrête devant les devantures des antiquaires. Mais cette vie est bien trop sage, bien trop lisse, pour susciter une quelconque émotion, d’autant plus lorsqu’on est encore jeune. Jérôme et Sylvie décident de partir pour la Tunisie, où ils atterrissent et s’enterrent dans la désespérante ville de Sfax.

Lire Les Choses presque soixante ans après sa parution, c’est se rendre compte de l’acuité du regard de Perec, et de la précision de sa plume. Au-delà de l’humour présent tout au long du roman, un petit rire qui se moque gentiment du couple, se terre surtout un désespoir malaisant et des questions existentielles : comment atteindre le bonheur ? Comment mener sa vie à une époque où tous les choix semblent possibles ? Un des chefs-d’œuvre du XXème siècle, ne mâchons pas nos mots.

« Ces films qu’ils avaient attendu si longtemps, feuilletant presque fébrilement, chaque mercredi, L’Officiel des spectacles, ces films dont on leur avait assuré un peu partout qu’ils étaient admirables, il arrivait parfois qu’ils fussent enfin annoncés. Ils se retrouvaient au complet dans la salle, le premier soir. L’écran s’éclairait et ils frémissaient d’aise. Mais les couleurs dataient, les images sautillaient, les femmes avaient terriblement vieilli ; ils sortaient, ils étaient tristes. Ce n’était pas le film dont ils avaient rêvé. Ce n’était pas ce film total que chacun parmi eux portait en lui, ce film parfait qu’ils n’auraient su épuiser. Ce film qu’ils auraient voulu faire. Ou, plus secrètement sans doute qu’ils auraient voulu vivre. »