Cet été, avec son exposition Graver la lumière, le musée Marmottan Monet s’intéresse à un art graphique méconnu et dont les possibilités et les qualités sont riches : l’estampe. Découvrez un univers fascinant au travers de ses chefs-d’œuvre.
Les expositions du musée Marmottan Monet traitent habituellement de peinture, et en hommage à l’impressionnisme, elles explorent les multiples variations de la lumière. Présenter une exposition d’estampes semble alors inhabituel, d’autant plus que la lumière n’est pas la première caractéristique à laquelle on pense dans cette catégorie des arts graphiques. En effet, dans l’imaginaire collectif, l’estampe, souvent réduite à la gravure, est une série d’images académiques, sombres et un peu figées. Avec cette exposition, le musée Marmottan Monet va renouveler la perception de cet art, en dévoiler les techniques, et surtout montrer toutes les possibilités d’une pratique qui demande de la patience, tant pour sa création que pour son observation.
Graver la lumière présente une sélection de cent œuvres de la collection de la Fondation William Cuendet & Atelier Saint-Prex. Créée en 1977 à Lausanne autour de la collection de gravures de Rembrandt et Dürer du pasteur William Cuendet et de la collection contemporaine de l’Atelier Saint-Prex, la Fondation a pour but de créer des liens entre les maîtres anciens et la jeune création. La collection compte aujourd’hui plus de dix mille pièces allant du XVème au XXIème siècle et est mise en dépôt au Musée Jenisch Vevey (Suisse). Elle forme ainsi une véritable encyclopédie emblématique de l’histoire de l’estampe européenne, de ses sujets et de ses techniques.
Le parcours de l’exposition s’organise de façon thématique en suivant une certaine chronologie, chaque époque ayant ses spécificités de forme et de sujet. Ainsi, le visiteur découvre une sélection d’une qualité remarquable d’estampes de différentes techniques, telles que la pointe sèche, l’eau-forte, le burin, la lithographie, la xylographie ou la rare héliogravure. L’estampe regroupe des techniques complexes, qu’il est parfois difficile de différencier pour un œil non exercé, et se rendre compte de la virtuosité des images requiert souvent de s’être confronté personnellement à une plaque de bois, de métal, de pierre ou même de verre. Ici, les néophytes pourront exercer leur œil grâce à des œuvres aux qualités tant formelles qu’esthétiques et les amateurs éclairés pourront plonger dans les merveilles de précision et de finesse des grands maîtres.
L’estampe est étroitement liée à l’imprimerie. En utilisant la gravure sur bois pour illustrer les textes, souvent religieux, les artistes tels que Dürer créaient des images qui facilitaient la compréhension pour les populations illettrées avec des personnages aux poses et visages expressifs, entourés d’une multitude de détails. L’évolution de la technique a suivi l’évolution de l’imprimerie, qui s’adaptait à la demande de plus en plus importante de livres. Et ainsi, les images circulaient de plus en plus : les portraits au burin des grands personnages (Robert Nanteuil, Claude Mellan), les vues typiques des villes traversées par les premiers touristes (les vedute de Canaletto ou Piranèse) à l’eau-forte, ou encore les cartes et les paysages.
Si les artistes ont peu à peu affiné leurs techniques pour atteindre la souplesse et le mouvement du trait de crayon, ils n’en ont pas moins été longtemps limités au noir et blanc uniquement pour rendre toutes les nuances de gris, l’ombre et la lumière. C’est ainsi qu’ils ont développé des techniques d’abord basées sur le trait en utilisant des hachures, en rapprochant plus ou moins les traits ou en jouant sur l’épaisseur de la ligne. On peut par exemple admirer ici La Sainte Face de Claude Mellan, qui d’un seul trait continu en spirale grave au burin un visage et tous ses modelés, véritable prouesse technique, si discrète qu’elle pourrait passer inaperçue. D’autres techniques telles que l’aquatinte ou la très belle manière noire permettent des façons différentes de faire naître la lumière, comme nous le montrent les taureaux de Goya par exemple.
Mais toute la technicité et le temps nécessaire à la création d’une estampe a pu freiner l’appropriation de ces techniques par les artistes qui ne cherchaient pas à créer pour l’édition. L’invention de la lithographie à la fin du XVIIIème siècle est venue remédier à ce besoin d’immédiateté créatrice recherché par les peintres, qui l’ont alors utilisée pour des scènes plus intimes. Degas par exemple a beaucoup travaillé l’estampe sans pour autant vouloir montrer ses créations, car elles tenaient plus de la recherche artistique. Les estampes de Bonnard, Manet, Fantin-Latour ou Toulouse-Lautrec, par leur mouvement, leurs couleurs et leur sujet montrent que la recherche des peintres impressionnistes pouvaient se poursuivre par la lithographie.
L’exposition nous présente enfin deux techniques plus rares, en lien étroit avec la photographie : les clichés-verre de Camille Corot et l’héliogravure. Le premier, en dessinant directement dans le collodion sur une plaque de verre, permet de jouer avec la lumière de façon très instinctive, et le second, toujours utilisé aujourd’hui, reproduit des photographies sur plaques de cuivre, donnant des impressions aux noirs profonds. On voit également apparaître la couleur, qui nécessite un travail en plusieurs matrices superposées, ajoutant encore une nouvelle complexité à une technique déjà exigeante.
Graver la lumière est avant tout l’hommage de passionnés de l’estampe à une discipline encore très discrète sur la scène artistique. Espérons que cette volonté de la faire connaître en partageant ses plus beaux secrets saura faire naître des vocations.
Graver la lumière – l’estampe en 100 chefs-d’œuvre de Dürer à Picasso
Du 05 juillet au 17 septembre 2023
Musée Marmottan Monet – Paris
Visuels :
1-Henri FANTIN-LATOUR , Les Petites brodeuses [1898] – Musée Jenisch Vevey – Cabinet cantonal des estampes, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Collection P © Olivier Christinat, Lausanne
2-Félix VALLOTTON, Les Petites Filles [1893], Musée Jenisch Vevey – Cabinet cantonal des estampes, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Collection P © Olivier Christinat, Lausanne
3-Albrecht DÜRER, La Mélancolie, ou Melencolia I (1514) – Musée Jenisch Vevey – Cabinet cantonal des estampes, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, don inaliénable de la famille Cuendet © Olivier Christinat, Lausanne
4-Giovanni Antonio CANAL, dit CANALETTO, Caprice. Portique à la lanterne [1742] – Musée Jenisch Vevey – Cabinet cantonal des estampes, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, Collection P © Olivier Christinat, Lausanne
5-Giovanni Battista PIRANESI, Le Pont-Levis [1749] – Musée Jenisch – Cabinet cantonal des estampes, Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex