C’est dans un ancien entrepôt de nourriture, situé rue des Bourdonnais au cœur des Halles, qu’exposent 35 artistes jusqu’au 10 mars. À l’origine de cette exposition organisée en quelques semaines, la plasticienne Marie-Hélène Fabra raconte les coulisses du « Fantôme des halles ».
La porte est discrète car c’est un ancien atelier mais quand on entre, il y a plus de 160 m2 de surface brute où des œuvres sont exposées partout. Le sous-sol , qui ressemble carrément à la soute d’un bateau, renferme aussi d’autres installations et peintures. On se croirait à un off d’une grande foire d’art, planifié depuis des semaines, mais c’est plutôt une histoire de famille. En effet, ce que Marie-Hélène Fabra appelle « Le Fantôme des halles » était l’atelier de son grand-père. Elle-même a récupéré la « cave à bananes » voisine, que son cousin louait jusqu’il y a peu à un plombier, pour y établir son atelier.L’occasion de faire peut-être des travaux, mais surtout de réunir des artistes pour exposer dans le « Ventre de Paris ».
Comment s’est organisée cette exposition éphémère, peut-être un peu plus pirate que fantôme ?
« Quand j’ai vu que le lieu serait libre, j’ai contacté d’autres artistes que je connaissais, par amitié et par respect de leur travail. J’ai choisi un thème ou plutôt un titre qui n’est pas autoritaire, qui correspond assez bien au lieu. Cela a plu, et après, j’ai demandé à certains artistes de me donner des noms d’autres consœurs et confrères, pour ouvrir le réseau ». Ce thème, c’est celui du « Trouble » proche du travail de peintre de Marie-Hélène Fabra, « à la fois figuré et concret », qui est suffisamment large pour fédérer toutes celles et tous ceux qui créent avec des « surfaces non limpides » et qui aiment les « mélanges indéfinissables ». On ne peut s’empêcher de penser aussi que le trouble peut être amoureux. Et qu’il « renvoie à la crise », mais aussi pour Marie-Hélène Fabra à une attitude qui consiste à « aborder de front » cette crise et de « ne pas seulement voir le négatif ».
Elle-même propose des œuvres à trois emplacements : « Au début, je me suis dit que j’allais me mettre que dans des trous, comme une souris, et finalement les copains m’ont laissé la meilleure place, juste en face de l’entrée et puis même plusieurs places ». On peut donc voir deux types d’œuvres très différentes de cette ancienne des beaux-arts qui aime exposer en collectif et dont certaines œuvres sont -entre autres- dans les collections du FRAC Île-de-France. Marie-Hélène Fabra est peintre au sens le plus profond du terme, « J’ai une technique assez traditionnelle, je travaille avec des outils, par superposition de couches, avec des dépassements. Je voulais me réapproprier cette matière, alors qu’au moment de mes études, nos maîtres voulaient la vider de sa substance. Moi, je voulais en faire. »
A l’étage, on voit un de ses paysages qui reflète beaucoup de choses avec sa couleur bleue. Elle-même l’interprète : « J’aime beaucoup le bleu de Monet. Or, les paysages glaciaires sont oniriques et ils portent également toute notre culpabilité sur leur fonte, en marquant une présence ». Au sous-sol, aux limites de l’exposition sur le trouble, une demi-douzaine de portraits nous guettent. Des personnages aux traits affirmés, solides dans leur matière et leur position, mais dont le regard à la fois en biais et perçant vient nous interroger et nous troubler.
Cette série sur l’exil intérieur et politique remonte à la mort de la mère de l’artiste en 2009, où Marie-Hélène Fabra a retrouvé une valise pleine de photos que sa grand-mère et sa mère ont rapporté lorsqu’elles ont émigré de Roumanie. Le grand-père de l’artiste a été interné dans un ancien camp de concentration, devenu camp de régime de Ceausescu. « Ce sont des peintures faites avec des photos de ma maman et de ma grand-mère mises en vis-à-vis avec des personnages vus dans la rue ». Pour Marie-Hélène Fabra, ces « gens viennent de partout » et sont donc en exil. Elle s’est inspirée de la technique et de la structure des fresques de Piero della Francesca pour les « réajuster » et les « enraciner » : « Piero della Francesca, c’est la dignité de la figure humaine qu’il construit sur des fonctions mathématiques. Cela crée un sentiment de sacré et de monumental, même quand il représente quelque chose comme la guerre ».
Il est difficile d’évoquer toutes les autres œuvres exposées au Fantôme des Halles, mais il est certain que certaines d’entre elles entrent en résonnance avec le travail de celle qui a organisé l’exposition. Les porcelaines issues du protocole méthodique de travail de Catherine Geoffray fascinent Marie-Hélène Fabra, de même que la grande plaque d’aluminium où le sculpteur Emmanuel Rivière a déposé des matériaux divers et les dessins minutieux et métamorphises de lumière de Marie-Laure Coltrat.
L’Exposition « Trouble» au Fantôme des Halles, 39 rue des Bourdonnais, 5001 Paris, dure jusqu’au 10 mars, est accessible de 15h à 19h il y aura un finissage avec du thé et des gâteaux.