2024 marque le centenaire des JO de Paris – réitéré- mais également celui du Premier manifeste du surréalisme. L’exposition anniversaire a démarré à Bruxelles et est arrivée à Paris où elle se déploie jusqu’au 13 janvier 2025 sur un espace de 2200 m² au Centre Pompidou selon un accrochage « labyrinthique » et une volonté de « faire fleuve ». Mais cette exposition « Surréalisme » manque cruellement elle-même de surréalisme …
Le bureau d’André Breton règne depuis longtemps en maître dans les collections du Centre Pompidou. Le patriarche du surréalisme, mouvement esthétique (et politique) qui a révolutionné l’avant-garde, l’art et son rôle, est au cœur du dispositif mis en place au 6ème étage du Centre Pompidou. Avec son premier manifeste d’octobre 24, texte érigé en fétiche selon une très belle projection vidéo autour du manuscrit et de sa voix reconstituée avec une IA, pour nous guider dans un cheminement qui traverse 13 thématiques, selon la forme du labyrinthe dans plus de … 500 œuvres. Les thématiques sont assez diverses : tout commence par les « medium », mais l’on peut aller aussi bien du côté des rêves chers à Freud, de l’érotisme, que de celui des forêts, des monstres (politiques à l’image de l’affiche), des mères, de figures mythiques (Alice, Mélusine) mais aussi littéraires (Lautréamont).
Les frontières temporelles sont étendues de manière militante jusqu’à 1969 alors qu’on arrête volontiers le surréalisme avant la Seconde Guerre mondiale, si bien qu’on retrouve aussi bien Hantaï que Picasso. Et le mouvement quitte les rivages de l’Europe pour concerner le monde entier (Remedios Varo, Tatsuo Ikeda…). Dans la somme transdisciplinaire de documents, huiles, photos, dessins, collages, revues (Le Minotaure) textes et vidéos partagés, l’on découvre pléthore de surréalistes moins connus et dès de début de l’exposition tous les signataires du manifeste sont nommés.
La dernière grande exposition liée au mouvement au Centre Pompidou date de 2002 ; elle était orchestrée par Werner Spies, spécialiste de Max Ernst, également sur l’affiche de l’exposition du centenaire. Et, elle avait un parti pris et une scénographie qui marquent encore les esprits aujourd’hui : certains et certaines ont redécouvert combien les positionnements esthétiques d’artistes pouvaient avoir un impact politique. Le paradoxe est que post #metoo, dans une époque où la conscience des enjeux environnementaux est plus importante et où le post-colonialisme fait trembler nos panthéons, cette exposition si riche demeure à la fois sage et floue : la statut de Breton est bien arrimée, alors même que sa manière de valider ou de récuser les membres du mouvement en fonction de leurs engagements politiques est terriblement d’actualité. Les espaces verts de Max Ernst sont là, mais hiératiques. Et, il est vrai, les femmes sont mises en lumière nombreuses et tout au long de l’exposition, selon une tendance qui grossit et qui séduit le marché aussi bien que le grand public (Musée de Montmartre, galerie Raphaël Durazzo). Placées au cœur du mouvement, on est ravis de revoir des photographes qu’on a découvertes au Jeu de Paume comme Claude Cahun, aussi bien que de revoir des œuvres de Dora Maar, Dorothea Tanning, Leonora Carrington ou de découvrir Ithell Colquhoun, Suzanne van Damme ou encore Edith Rimmington. C’est bien mais un peu insuffisant, eu égard aux questions que l’on peut se poser concernant l’impact du surréalisme sur les structures patriarcales et impérialismes de notre Occident partagé : à la fois né du monde colonial et manifestant « contre » avec un véhément happening à Vincennes lors de l’exposition de 1931. Le surréalisme a flanqué par terre avec l’aide de la psychanalyse pas mal de tabous et de carcans, mais également projeté beaucoup de vieux fantasmes sur la page blanche du désir de Nadja ou du dos de Gala ou des longs ongles noirs de Dora.
Présentée comme une exposition pensée pour celles et ceux qui ne connaissent pas le surréalisme, cet immense évènement qui célèbre le centenaire du manifeste est sérieux, riche et présente des œuvres « cult.es » venues du monde entier. Il y a une conscience politique affirmée de l’endroit d’où parlent les surréalistes et sur l’impératif de réinterpréter le corpus aujourd’hui. Mais celle-ci reste un peu en surface – par peur de choquer ? – et bien en deçà de la manière dont une exposition anniversaire sur le mouvement pourrait venir nous réveiller. Par exemple, dans la thématique sur les monstres politiques, agglutiner les clichés désormais célèbres de Brauner, Ernst, Magritte et Dali, ne suffit plus en 2024 à créer une inquiétante étrangeté. Les icônes s’imposent sans aucune échappée pour interpréter et penser.
A l’heure où l’on sent à nouveau à quel point raisonner ne suffit pas à nous projeter, l’on regrette que cette exposition sur le surréalisme ne le soit pas un peu plus, surréaliste. André Breton écrit dans le fameux manifeste : « Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée ». Sagement agglutinées selon leur thème sur les parois d’un joli jardin à la française, les œuvres de l’exposition semblent un peu privées de leur toute-puissance poétique et nous, empêchés de librement les associer pour mieux penser…
Surréalisme est une exposition incontournable, malgré les déceptions qu’elle peut susciter.
Visuel : Max Ernst, L’Ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme), 1937 Huile sur toile, 117,5 x 149,8 cm, Collection particulière, Ph © Vincent Everarts Photographie, © Adagp, Paris, 2024