«Secondary» : Matthew Barney revient aux sources de la violence à la Fondation Cartier

par Yael Hirsch
06.06.2024

Jeudi 6 avril, nous ne célébrions pas seulement l’anniversaire de débarquement et les JO. Chris Dercon, directeur de la Fondation Cartier, accueillait le plasticien et vidéaste Matthew Barney pour un exposition d’été qui met en vis-à-vis l’installation vidéo de 2023, «Secondary» et des œuvres datant de 1988. Une réflexion sur le sport et sa violence, ainsi que la manière de le médiatiser. Beau et sombre sous ses couleurs, comme ses iconiques «Cremaster».

Des retrouvailles entre la France, la Fondation Cartier et Matthew Barney

Cela faisait dix ans que le vidéaste que l’on a connu avec sa série vidéo des Cremaster n’avait pas eu de grande exposition en France. Le voir à la Fondation Cartier, avec le commissariat de Juliette Lecorne fait d’autant plus de sens, que c’est cette institution qui a financé le quatrième de ces Cremaster, il y a tout juste 30 ans, en 1994. L’artiste de 55 ans est présent au vernissage presse et en très peu de mots, il nous explique comment son art fonctionne « en couches ». Il n’a jamais fermé sa série des années 1980 qui réfléchit sur la violence faite au corps, les «Drawing Restraints», qui sont multimédia (vidéo, terre cuite, dessins…). Au sous-sol, on retrouvera les œuvres originales de cette série, datant de 1988. Et son studio a produit pour l’occasion, comme sur une caméra de surveillance, un film en noir et blanc qui constitue le 27e «Drawing Restraint».

Retour à la violence des origines

Le choc des origines pour Matthew Barney, c’est le match de football américain du 12 août 1978 où l’altercation entre Jack Tatum des Raiders d’Oakland et Darryl Stingley des New England Patriots mène à la paraplégie de ce dernier. Lui-même footballeur en tant qu’étudiant, Matthew Barney a commencé à mettre en scène dans sa chambre de dorms cette violence que provoque le sport et que les médias célèbrent. Encore et toujours, la grande installation «Secondary» aux multiples écrans pas du tout plats rejoue, au-dessus d’un tapis aussi rouge que la terre battue du stade, cette scène originelle. C’est du Matthew Barney tout craché, avec des décalages d’images sur les écrans et une mise en scène majestueuse. Et aussi la musique grinçante en décalé de son complice de toujours, Jonathan Bepler.

«Secondary»

Des acteurs incarnent les footballeurs en gros plans, des hooligans étendent les insignes des équipes comme des étendards partout dans le monde. La matière se fissure et tombe comme du chiffon pour parler de la déflagration du corps, et la caméra interroge sous tous les angles et dans plusieurs villes l’esthétique somptueuse qui nous emprisonne. Cette prison, on la retrouve dans la cage de musculation en fragile céramique que Matthew Barney et son studio viennent de créer pour cette exposition et qu’on trouve dans la seconde salle du rez-de-chaussée de la fondation. Pour parler de ce qui lui a coupé le souffle lorsqu’il a découvert le plasticien dans les années 1990, Chris Dercon évoque avec beaucoup de justesse la manière dont Barney réalise de la sculpture avec de la vidéo. En ce sens, cette cage en terre battue fait le lien entre l’étudiant s’entraînant pour un match et l’artiste de renommée mondiale, toujours aussi hanté.

Au cœur des fantômes de Matthew Barney

On comprend mieux l’œuvre de Matthew Barney grâce à cette exposition, notamment au sous-sol où la terre battue salit les murs comme du sang, tandis que le corps humain est acculé dans des coins dans des vidéos de parkings en noir et blanc. Le graphisme a évolué avec son temps, mais l’opéra contemporain exprimant toute la terreur que lui inspire le monde est resté le même. La Fondation Cartier nous invite d’ailleurs à aller l’écouter lors d’une des quatre Soirées Nomades qui lui sont dédiées, le 10 juin à 19h, et également à aller voir à l’Action Christine le cycle entier des Cremaster, œuvre ultime après laquelle il est probablement dur de créer.

Matthew Barney, SECONDARY, 2023
© Matthew Barney
Photographie de production :
Jonathan O’Sullivan
Courtesy de l’artiste, Gladstone Gallery,
Sadie Coles HQ, Regen Projects et Galerie
Max Hetzler