Le 18 mai, à l’occasion de la vingtième Nuit Européenne des Musées, plus de 3000 musées européens, dont 1300 en France, ouvrent leurs portes aux noctambules. Spectacles vivants, projections, ou collections permanentes à revoir au clair de lune, c’est l’occasion de découvrir autrement les musées d’Europe. Cette année, quelles histoires veut-on se raconter avant d’aller dormir ?
Peut-être d’abord veut-on, ou doit-on entendre celles qui ont longtemps été exclues de la Grande Histoire. Au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), Adrianna Wallis, accompagnée de quarante bénévoles, présentera «11 petites soucoupes…», une performance touchant à un pan méconnu de l’histoire de la Shoah. Depuis la loi-cadre du 22 juillet 2023, la restitution d’œuvres d’art spoliées aux Juifs a été facilitée. Mais quid des objets du quotidien, des restes de trousseau d’une grand-mère aux fauteuils en velours élimé, que l’on chérit même – surtout – lorsqu’ils n’entrent pas au musée ? Dès les années 1960, Georges Perec donnait à la liste ordinaire son caractère sensiblement critique. À partir des inventaires de familles parmi les 38 000 qui subirent les pillages par la Möbel-Aktion nazie, Adrianna Wallis posera notre regard sur ces inanimés qui convoquent toujours l’absence. Réanimées, les femmes du passé le seront aussi. Dans la continuité du renouveau historiographique mené notamment par Michelle Perrot dans les années 1970, le musée des Beaux-arts de Tours dévoile les dessous de la vie de femmes au Moyen Âge dans l’exposition «Le Sceptre et la Quenouille», reconnue d’intérêt national. Idéalisées, diabolisées, et avant tout invisibles, les figures féminines du XVe et XVIe siècle apparaissent dans ce qu’elles ont de plus commun et de plus précieux. Au rythme de la pop flottante et sinueuse d’Amande, et de la folk d’Alice Ha, on redécouvre les suzeraines opalines des contes de l’enfance, et toutes celles qui n’en étaient pas. S’il manque des pans entiers de notre histoire, comment se raconter soi-même ? Parfois, il n’est question que de fragments. En 2020, durant le confinement, certaines parties de la tenture de l’Apocalypse ont été miraculeusement retrouvées. Lors de la Nuit européenne des musées, le Château d’Angers présentera pour la première fois la tapisserie complétée au public.
Depuis le 29 mars, le musée de Giverny propose une exposition « L’impressionnisme et la mer », où sont présentées des œuvres de Monet, bien sûr, mais aussi de Courbet, Gauguin, Pissarro ou Barthold Jongkind. Impression, soleil levant donne en 1874 son nom au courant impressionniste, et depuis, l’association avec la douceur d’un soleil sur les vagues est presque instinctive. Mais au-delà des paysages typiques des plages normandes, cette exposition donne à voir des scènes de l’industrialisation maritime, du quotidien portuaire ou des tempêtes, lorsqu’elles sont noires et grises. Plus tard dans la soirée se tiendra une visite-lecture “dans l’intimité des artistes”, à travers leurs correspondances et leurs journaux. Parce que la nuit, les histoires que l’on veut entendre sont souvent des confidences. Celles des grands hommes ou les siennes. En plaçant les silences au cœur des pièces présentées, le concert « Âmes intimes », au Château de la Motte Tilly, invite à laisser ses propres confidences résonner. La soliste Isabelle Durin promet un recueillement léger, que l’on poursuivra lors de la visite libre du château, entre vingt et une heures et minuit. Et pour ceux qui préfèrent les histoires quand elles leur sont racontées, le Musée de Guérande, porte Saint-Michel, propose aux visiteurs de se lover au dernier étage des tours épaisses, où un conteur dira le monument à travers le temps. Cela, en pyjama.
Au Grand Palais, on pourra assister à Artificial Dreams, une exposition-performance présentant plusieurs artistes assistés par l’IA. Parmi les expositions, coup de cœur pour « Niceaunties » dans laquelle l’artiste singapourienne donne à voir des dizaines de types d’ « aunties », qui sont bien plus que nos tantes comme il est d’usage de l’entendre en français. Les « aunties » caractérisent des femmes « plus âgées, débrouillardes, traditionnelles et entêtées », qui ne sont pas nécessairement liées à nous par le sang, mais qui occupent une place dans l’espace social, restrictive s’il en est. Ces femmes qui nous conseillent, dont on aime les histoires de jeunesse, dont on rit parfois discrètement. L’artiste fait le choix d’un monde surréaliste, empathique, où les comportements tendres ou ridicules des tantes ont leur place. Ces personnages extravagants mais toujours secondaires, labellisées simplement, se retrouvent chacune au centre de leur récit, et peuvent s’épanouir ensemble entre les couleurs. L’humour re-centre, décentre. Comme à Epinal, où la jeune artiste plasticienne Wanqi Gan exposera « L’image tangible », un ensemble d’affiches humoristiques pour interroger la perception à l’origine des histoires qui nous encadrent.
Crédits : © Plasticbionic
Infos pratiques pour la nuit européenne des musées, samedi 18 mai 2024: