Au cœur de l’exposition « Le temps qu’il nous faut », à voir avant le 24 février 2023 (lire notre article), Julie Fortier nous invite à nous arrêter, à nous allonger et à « sentir » trois atmosphères olfactives et tactiles qui remettent les pendules à l’heure. Rencontre in situ, au MAIF Social Club.
Elles créent du lien ; d’autant plus ce sont des fils de laine phosphorescente. Elles sont un cadeau pour ceux qui ferment l’exposition : quand ils éteignent toutes les Lumières, cela s’allume et a sa vie propre pendant la nuit. Je les ai vraiment pensées sur le modèle du cerveau, comme des routes de communication. J’ai pensé aussi aux mycéliums, ces champignons profondément enfouis dans la terre et qui font communiquer les arbres entre eux…
Au début je voulais même en faire cinq, mais l’espace ne me permettait pas de faire cinq tapis. Je voulais que les tapis soient à échelle humaine pour que l’on puisse s’allonger de tout son long. J’ai donc choisi trois parce qu’il y a plein de symboliques et aussi parce que tout ce qui dépasse deux pour un enfant, c’est « beaucoup » : « 1, 2, beaucoup ». À deux on a une dualité ; à 3, il y a une alternative.
Je ne sais plus, je pense que ça fait plus d’ un an que je travaille sur le projet. La couture à la main est un temps long, avec un travail de finition sur place. Et cela prend au moins un an pour produire les parfums parce qu’il y a des temps de macération et d’attente. Et puis, il faut vraiment comprendre comment les ingrédients se mélangent entre eux. Donc il faut travailler, il faut arriver à construire quelque chose de cohérent et cela prend du temps et demande du lâcher-prise.
Ces effets sont des présupposés tirés de lectures. Sans aller jusqu’à des études de médecine, j’ai fait une formation d’aromathérapeute. Alors que le langage induit déjà une posture, que les mots stabilisent la sensation, ce que l’on peut ressentir dans le corps, certaines odeurs font remonter plein de souvenirs. La perception des odeurs ne passe pas par le système du langage. Et l’on se retrouve ainsi dans une espèce d’impression en flou que le toucher du tapis vient stabiliser.
C’est venu de manière très métaphorique. Je suis partie d’une métaphore de Maxime de Rochechouart : « Avant la mer, les ondes » que j’ai découverte quand j’ai travaillé sur Madame de Montespan, la dernière propriétaire du château d’Oiron en 2020. C’est beau et puissant, cela dégage une espèce de force sereine. On comprend que ce sont des petites choses qui amènent à construire cette force surpuissante que sont les océans. Et de fait au Château d’Oiron, même si on est à X km de la mer, le vent souffle comme si nous étions sur la plage. Comment ? Simplement parce que le paysage se souvient qu’il y avait la mer. Il y a en effet une mémoire imprégnée dans la géologie. Et nous produisons les mêmes ondes dans nos cerveaux et c’est ça que je trouve assez beau et j’ai en fait dans ma manière de travailler. Avec mon travail de recherche, je forge une image de ce que pourraient être ces ondes que nous produisons dans nos cerveaux. Les donner à visualiser et les nommer, c’est déjà les faire advenir en partie, et c’est cela qui m’intéresse.
Oui, nous oublions constamment que nous faisons partie d’un tout. Nous ne pouvons pas vivre en dehors du règne animal. Et donc nous sommes une partie du problème et nous sommes une partie de la solution. Comment fait-on ? Comment s’adapte-t-on ? Il faut réapprendre à rester mobile et à bouger avec la nature. Et pour cela il faut retrouver comment la lire et pour cela il faut prendre du temps. Je pense qu’il faut revenir au fait d’essayer de comprendre ce qui se passe autour de nous. S’arrêter, être attentif et bouger en fonction de sa lecture sans nécessairement essayer d’infléchir la nature. Il nous faut développer une nouvelle économie de l’attention, se montrer proche au moment très présent, sans se laisser disperser.