Le Musée d’ethnographie de Genève met en lumière l’importance de la communication au sein du monde vivant et remet en question nos relations aux autres espèces. Un sujet aussi vieux que le monde pour répondre à des problématiques contemporaines.
Depuis 2019, le MEG est engagé dans une réforme complète du musée pour atteindre au mieux la durabilité, ce qui englobe non seulement des aspects écologiques, mais aussi économiques, sociaux et sociétaux. Ainsi, cette démarche le pousse à élargir les sujets de ses expositions, passant de l’ethnographie pure à des questions de société plus globales. Après avoir abordé le sujet des peuples autochtones face aux inégalités environnementales, le MEG s’intéresse cette année à la question des relations entre l’Homme et d’autres espèces, animales ou végétales.
La base de bonnes relations est la communication, qu’elle soit verbale ou non. Si l’on considère uniquement la communication entre humains, les différences de langage, de gestuelle, de culture ou d’éducation rendent l’exercice pour le moins compliqué. Nous sommes fréquemment contraints de faire l’effort de traduire ce que nous ou notre interlocuteur voulons transmettre afin d’éviter les mauvaises interprétations. Comment faire alors entre des espèces différentes, avec des moyens d’expression que l’autre ne maîtrise ou ne connaît pas ?
L’exposition n’a pas vocation à débattre de réflexions philosophiques abstraites, même si elle peut y mener. Elle trouve au contraire sa matière dans six exemples concrets de communication inter-espèces, six binômes exemplaires situés entre la Suisse et le nord de l’Italie. Ces six liens sont le résultat des aléas de la vie, dépendent de l’environnement direct dans lequel ils se sont formés et n’ont pas vocation à être érigés en dogmes. Les relations d’interdépendance dans tout le vivant sont multiples et complexes et vouloir les simplifier pour en tirer une théorie universelle reviendrait à ignorer une trop grande partie de l’équation.
De ces six exemples, nous retenons que la patience, l’observation et l’empathie sont essentielles pour établir un échange, qu’il soit avec un renard, un essaim d’abeilles, un chien truffier, un marronnier, une punaise arlequin ou une vache. La communication inter-espèces repose sur l’interprétation que nous faisons des signes que nous observons, et ici se trouve une contradiction de taille : pour comprendre l’autre, nous devons traduire ses signaux dans un système de pensée que nous connaissons et qui par conséquent est humain ; nous effaçons donc les spécificités propres à l’autre espèce. Si ce mécanisme d’anthropomorphisation est nécessaire pour déclencher notre empathie, il nous coupe également d’une appréhension objective de ce que notre interlocuteur pense et perçoit.
Nos mythes fondateurs portent les traces d’une envie de communiquer librement avec tous les êtres. Ainsi, c’était le cas dans le Jardin d’Éden jusqu’à l’expulsion de l’Homme, qui marque la première rupture entre l’humain et les autres animaux et végétaux. La seconde rupture se trouve ensuite dans le mythe de la tour de Babel, où les humains perdent la faculté de communiquer entre eux sans entraves. L’Homme s’est retrouvé progressivement de plus en plus isolé, rendant la création de liens en dehors de son groupe de plus en plus difficile. Et de cette utopie d’harmonie entre tous les êtres, nous sommes arrivés à un système de hiérarchisation et de domination.
Mais ce sont pourtant ces liens, aussi lacunaires, incertains et parfois non réciproques qu’ils soient, qui permettent de créer un rapport équilibré avec le vivant qui nous entoure. Il est nécessaire de faire l’effort d’observer les êtres qui nous côtoient pour mieux les connaître, pour communiquer, pour s’apprivoiser, enfin pour vivre ensemble. Les rapports au sein du vivant ne peuvent pas être en permanence bénéfiques pour tous, chaque espèce cherchant à satisfaire ses besoins vitaux, mais ils peuvent s’établir sur un principe de moindre impact.
Remettre en question notre place au sein du vivant est une démarche difficile tant l’idée de l’anthropocentrisme est profondément ancrée. Mais, comme nous le montre l’installation hypnotisante Econtinuum de Thijs Biersteker (avec Stefano Mancuso) qui symbolise les communications racinaires entre les arbres, il y a tout un monde de signaux autour de nous dont nous n’avons aucune conscience. Le monde échange continuellement des informations et y prêter l’oreille nous serait sans aucun doute bénéfique. Ainsi, en acceptant notre place au sein d’un système de relations riches et complexes dans tout le Vivant, nous pourrions améliorer notre présence au monde, jour après jour.
Etre(s) ensemble
Du 05 mai 2023 au 07 janvier 2024
MEG – Musée d’ethnographie de Genève
Visuels :
1- affiche de l’exposition
2-3-4- vues de l’exposition Etre(s) ensemble au MEG ©MEG, J.Watts