Cette année le Week-end à l’Est est dédié à Erevan, la capitale de l’Arménie. Du 20 au 30 novembre, à travers le sixième arrondissement de Paris, les artistes arméniens nous dévoilent l’âme de l’Arménie, ce pays à la fois si proche et si lointain.
Le festival propose une promenade dans cinq galeries d’art, toutes situées dans le 6ᵉ arrondissement. Elles rassemblent les œuvres de 23 artistes. Pour eux exposer à Paris est très important, c’est un honneur. En effet, la scène artistique d’Erevan n’est pas très structurée et les artistes arméniens vivant en France restent souvent peu connus.
Le conflit du Haut-Karabagh est très présent. En témoigne le cimetière imaginaire de Tigran Sahakyan qui a gravé des croix noires de soldats morts lors des guerres de 1991 et 2020. Les photographies prises par Areg Balayan lors de son service militaire au Karabagh en 2016 sont saisissantes. En noir et blanc, plutôt sombres, mais avec un clair obscur qui révèle l’essentiel, elles nous montre l’inconfort, la fatigue, la précarité des soldats, leur camaraderie aussi. Ghost City de Vahram Aghasyan nous montre Mush, une cité fantôme. Les constructions inachevées devaient accueillir les réfugiés du tremblement de terre de 1988. La présence de l’eau pourrait symboliser l’engloutissement d’un monde qui paraît s’écrouler dans ces années terribles pour l’Arménie.
Mais tout n’est pas sombre. Les aquarelles de Narek Barseghyan nous montrent des villages arméniens paisibles, des paysages champêtres. Araks Sahakyan veut « tout voir avec la joie », une joie qui s’exprime dans ses peintures aux feutres pigmentaires. Les couleurs sont vives, lumineuses. Cette arménienne de Paris nous offre une grande toile pleine d’humour, intitulée Hommage à Paris. Khachatur Martirosyan nous invite à l’abstraction. Il crée un espace spirituel, mystique, très épuré en noir et blanc. Ces toiles composés de rectangles de toutes les nuances de blanc sont comme des miroirs qui interrogent les visiteurs.
Mais l’exposition la plus émouvante serait Red Black and White de Nazik Armenakyan à l’espace des Femmes. Le lieu est magnifique, on y accède par une allée de fleurs. Les noirs et les rouges sont somptueux. Nazik Armenakyan a photographié des femmes atteintes par le VIH. Elles ont été contaminées par leurs maris, travailleurs saisonniers en Russie et ont souvent appris leur séropositivité lors d’une grossesse. Leur visage est masqué, elles sont derrière une table qui symbolise le rejet, la distance que leur impose la société. Mais leur posture reste fière, leur dignité manifeste. Ce travail est très beau artistiquement, très émouvant humainement.
« Dans la ville en ruine, dans les cœurs en ruine tout est anéanti. Notre vie est déjà derrière nous. Va t’on laisser les arméniens en paix !» Ce texte de Zabel Essayan est lu au début du concert du 22 novembre par l’actrice Tatiana Spivakova Ce texte relate le massacre des arméniens à Adana en avril 1909. Le texte est glaçant… Puis le concert débute, la Rhapsodie pour violon et piano d’Edvard Baghdasarian apparaît comme une consolation. Une œuvre séduisante, post-romantique, mais qui rappelle aussi la musique tzigane.
L’église de Saint-Germain-des-Prés, si lumineuse, si colorée est pleine pour écouter le duo Khachatryan. Ils sont frère et sœur. Sergey le violoniste paraît impassible. Sa virtuosité est éclatante, le chant de son violon nous pénètre, nous transporte. Lusine est appelée la poétesse du clavier. Sa virtuosité n’a rien à envier à celle de son frère. Sa sensibilité, son expressivité sont manifestes, elle est totalement habitée par la musique.
Grâce à leurs talents ils nous font découvrir la musique classique arménienne. En commençant par Komitas Vardapet, le prêtre qui a restauré et sauvé le patrimoine musical traditionnel de l’Arménie. Lusine Khachatryan interprète quatre danses folkloriques écrites par Komitas. Une musique délicate, nostalgique qui devient envoûtante. Puis le duo nous propose une création In A Mur de S. Talian. Ce sont des variations très contrastées, souvent très romantiques. Mais le rythme évoque le jazz, les dissonances et les puissants accords conduisent à un déchaînement final. Lusine Khachatryan nous a chaleureusement présenté la compositrice. Le concert se termine par Introduction et Perpetuum mobile, une œuvre d’ E. Mirzoyan, une œuvre emprunte de nostalgie et de mélancolie, mais aussi porteuse d’un souffle romantique puissant. Le piano devient un orchestre. Mirzoyan nous offre ainsi une fin de concert émouvante et spectaculaire.
Peintres, photographes, musiciens, mais aussi acteurs, écrivains, danseurs. Par leur talent et leur sensibilité les artistes arméniens, d’Erevan ou de la diaspora nous ont révélé les multiples facettes de leur pays. Ce long week-end en leur compagnie aura sûrement renforcé les liens entre l’Arménie et la France, comme un pont par-delà les frontières.
Visuel(c): Nazik Armenakyan Red Black White N°1 2019
Et les frontières deviennent des ponts :
Galerie d’art du Crous de Paris, Galerie Callot, Libraire Galerie Métamorphoses
Nazik Armenakyan Red Black White : Espace des Femmes-Antoinette Fouque
Khachatur Martirosyan, The part of communication : 22Visconti