Le musée de l’Image d’Epinal donne une nouvelle vie à une exposition qui avait tourné court à cause du Covid : Suivez-moi jeune homme, un panorama sur 150 ans d’images de mode et de presse féminine.
Dès l’entrée du parcours, une silhouette laisse son ruban flotter derrière elle, nous invitant à la suivre, jouant avec le nom de cette fanfreluche, un « suivez-moi-jeune-homme ». Cela annonce les grands thèmes de l’exposition : la mode, le corps de la femme, les rapports entre hommes et femmes, et les images qui en rendent compte.
Ainsi, nous retraçons l’histoire des magazines de mode, que nous retrouvons dès le 18ème siècle sous forme de cahiers d’estampes pour les femmes de la haute société. La presse va ensuite suivre l’évolution de la mode qui s’industrialise et se démocratise, les deux se multipliant et devenant plus accessibles pour toutes les femmes, principalement celles de la bourgeoisie qui courent les grands magasins. En 1930, les magazines de mode s’achètent à l’unité ou sur abonnement, avec des patrons de couture, des feuilletons, des conseils éducatifs pour les jeunes filles ou des conseils de vie pratique.
Les magazines sont à la fois des témoins de leur époque et des prescripteurs de tendances. La photographie a du mal à s’imposer dans ces publications à cause d’un papier peu adapté, et les gravures et lithographies permettent une idéalisation de la silhouette féminine. De l’exacerbation des formes et des volumes à grand renfort de corsets et de crinolines, jusqu’à la silhouette longiligne des années 1920, le corps de la femme est la vitrine de la fortune de son mari que la mode cantonne à un costume sobre. Une femme qui a le temps de prendre soin de son apparence, de suivre la mode, dispose nécessairement des moyens de le faire.
Le trait des dessinateurs accentue les lignes du corps, mais souligne également les excès des élégantes dans de remarquables pages satiriques rehaussées d’or où la crinoline devient montgolfière, cage à volailles ou cause d’embouteillages. Notons également les belles couvertures aux accents Art Nouveau de La Mode illustrée ou les compositions inventives des artistes œuvrant pour la Gazette du Bon Ton tels que Raoul Dufy ou Paul Iribe. Ce magazine, créé par Lucien Vogel, est une parution plus luxueuse et soignée qui collabore avec de nombreux couturiers de son époque, considérant la mode comme un art à part entière, vision soutenue dans ses pages par des écrivains de renom. Elle ne paraîtra pourtant que pendant une dizaine d’années, alors qu’à la même époque Modes et Travaux et Marie-Claire faisaient leurs débuts.
Mais une fois passé l’émerveillement des belles images et des robes de princesses, on se rend compte que le corps de la femme reste un objet à la disposition des hommes. A l’image de l’Impératrice Eugénie qui servait de vitrine au savoir-faire de l’industrie textile française, allant jusqu’à se changer plusieurs fois par jour, les femmes portent le statut de leur mari sur toutes leurs étoffes. Comme ces poupées de papier que l’on pouvait découper et habiller, la femme se doit de suivre une mode créée par les hommes, vendue par les patrons des grands magasins et achetée par leurs maris. On remarquera qu’après la Révolution et après la Première guerre mondiale, elles ont profité de quelques années de liberté, avant de se faire rattraper par leurs gaines et corsets. Est-ce que la joie d’une société libèrerait le corps de la femme et les tensions à l’inverse le contraindraient ?
Les dernières photos en noir et blanc préfigurent nos magazines contemporains, avec des modèles alors à l’apparence encore accessible. Aujourd’hui, la presse de mode recule, comme l’ensemble de la presse papier, face à la présence imposante d’internet. Ses influenceuses dictent les modes, les filtres et les retouches photos promeuvent un idéal corporel tout aussi irréaliste qu’au temps où l’on voulait se scier les côtes flottantes, et la temporalité de l’industrie ne cesse de s’accélérer. Et dans le futur, quelle forme prendra le corps féminin ?
Suivez-moi jeune homme – Images de mode et presse féminine (1778-1939)
Du 9 novembre 2024 au 18 mai 2025
Musée de l’Image – Epinal
Visuels :
1- Poupées à habiller, Charles Pinot, Épinal (éditeur) – Vers 1872, Lithographie – Coll. Mudaac, dépôt au musée de l’Image, Épinal© musée de l’Image / cliché E. Erfani
2- Galerie des modes et costumes français, Watteau de Lille (dessinateur), Le Bas (graveur), Esnaut et Rapilly, Paris (éditeur) – Entre 1781 et 1786Gravure en taille douce – Coll. Bibliothèque municipale de Dijon – Est.77© Bibliothèque municipale de Dijon
3- Les Inventeurs et les inventions (détail), Gangel, Metz (éditeur), 1855, Lithographie coloriée au pochoir – Coll. Mudaac, dépôt au musée de l’Image, Épinal© musée de l’Image / cliché E. Erfani
4- La Mode illustrée, Laure Noël, Alice Huard (dessinatrices), 1877 – Chromotypographie – Coll. musée de l’Image, Épinal© musée de l’Image / cliché E. Erfani
5- Modes et Travaux, 15 mai 1931Coll. musée de l’Image, Épinal© musée de l’Image / cliché S. Daongam