Dans les premières sorties cinéma de ce mois de janvier 2024, le film de Sofia Coppola sur la femme d’Elvis Presley, Priscilla Beaulieu, est un petit bijou. Casting d’avenir (Cailee Spaeny a été primée à Venise) et portrait aussi ciselé que les costumes, dans Priscilla, la magie de la réalisatrice opère à nouveau.
Dès septembre 2022, l’annonce a été faite : Sofia Coppola adaptait la biographie officielle de Priscilla Presley, Elvis and me, parue en 1985. Un moment intense pour lui dédier un film, puisqu’en 2020, son petit-fils, Benjamin Keough, s’est suicidé. Et qu’au début de l’année 2023, Baz Lurhmann a sorti son biopic d’Elvis, que Lisa-Marie Presley, fille de Priscilla et Elvis et mère de Benjamin, a juste eu le temps de voir avant de mourir. Priscilla, elle, est toujours là. C’est à Venise, festival fétiche de Sofia Coppola, que son film a été projeté pour la première fois. Il y a été très apprécié et Cailee Spany a décroché la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine.
Très précis, le biopic se concentre sur l’histoire d’amour – car c’en est une – entre Priscilla Beaulieu et Elvis Presley. Elle commence dans l’Allemagne occupée où la jeune-fille a dû suivre sa mère et son beau-père et où elle rencontre un Elvis, qui vient de perdre sa mère. Elle se termine en 1973, quand Priscilla quitte Elvis pétri de drogues, partant avec leur fille de 4 ans. Entre les deux, le mariage ne vient qu’en 1967. Et Sofia Coppola filme surtout beaucoup d’attente de la part de celle qu’Elvis appelait « my little one ». D’abord en Allemagne qu’il la rappelle. Puis elle part finir son lycée à Memphis, en résidant dans la mythique maison du « King », alors que lui est constamment dans un bus avec ses musiciens, ou en tournage. Avec constance, patience et détermination, même quand les tabloïds lui prêtent mille aventures, Priscilla attend l’homme qu’elle aime… Et lui attend le mariage pour consommer leur relation. En 2023, évidemment, cette abnégation et cet oubli de soi de la part de la jeune-femme interpelle. Sofia Coppola sait faire un récit parfaitement ciselé qui ne nous dicte rien. Il n’y a pas de jugement, jamais, ce qui nous laisse la liberté de comprendre la relation, pour peut-être mieux nous insurger.
En réalité, nous avions un peu perdu Sofia Coppola de vue depuis Somwhere, il y a treize ans, The Bling Ring, Les Proies et On the Rocks n’avaient conquis ni la critique, ni le public, comme si la forme très maitrisée du cinéma de la réalisatrice n’avait plus de fantômes à transmettre. Avec Priscilla, elle revient au meilleur d’elle-même et elle semble se recentrer : d’abord avec le portrait d’une femme-enfant, ou plutôt d’une jeune-fille qui refuse de sortir de l’adolescence. Un thème au cœur de ses chefs-d’œuvre, à commencer par l’estomaquant Virgin Suicides mais aussi Lost in Translation ou Marie-Antoinette. C’est évidemment à ce dernier film que ressemble le plus Priscilla. Mais avec une BO plus pop nécessairement, même en se passant de titres d’Elvis ! (The Ronettes, Alice Coltrane, le millenial Dan Deacon, et la VO par Dolly Parton de la mythique chanson de Bodyguard, I Will Always Love You). Et aussi avec un thème et un continent chers au cœur de la réalisatrice : les États-Unis. Tout commence en exil, dans une infusion de mal du pays (homesickness) pour les deux amoureux. Et, au-delà des plans de le jeune-femme choucroutée hantant comme un bibelot brillant parmi les autres les pièces sans limite de Graceland, les plans américains et notamment Los Angeles ou l’arrivée à Vegas partagent avec le public un vrai amour des États-Unis.
La grande force du film est donc de rester concentré sur le personnage, avec une caméra qui suggère et lui reste extérieure. Il y a Priscilla d’abord, Elvis ensuite. Rien d’autre. Aucun confident, ami ou aucune tierce personne pour que des émotions internes puissent s’exprimer. Du coup « The little one » reste aussi mystérieuse et mythique que The King, sauf les trois rares fois où elle exprime un désaccord. Une brève image de Priscilla montant sur la balance suffit par exemple pour saisir la pression mise sur elle, enceinte. Ainsi, l’absence de tiers renforce le magnétisme du couple et évite de forcer le jugement du public pour laisser le spectateur libre d’interpréter. Dans ce cadre, les deux acteurs sont parfaitement choisis, non seulement la lumineuse Cailee Spaeny, mais également, dans un rôle beaucoup plus ambigu, Jacob Elordi. Le hit boy révélé par Euphoria est vraiment extraordinaire.
L’ombre du mythe d’Elvis, la BO pop chapeautée par Thomas Mars de Phoenix, le retour de Coppola fille au meilleur de son travail de nuances dès le générique, ainsi que la découverte de deux acteurs qui vont compter dans les prochaines années, sont autant de raisons d’aller voir Priscilla.
Priscilla, de Sofia Coppola, avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Ari Cohen, Jorja Cadence, USA, 2023, 110 minutes, ARP selection, sortie le 03/01/2024.
Visuel (c) Sabrina Lantos