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« MMXX » de Christi Puiu ou la Roumanie d’aujourd’hui

par Nicole Gabriel
22.09.2023

 

MMXX, le dernier (très) long métrage de Christi Puiu, l’auteur de La Mort de Dante Lazarescu (2006) et de de Sieranevada (2016) est divisé en quatre parties, chacune d’elles étant annoncée par des cris d’oiseaux et une vue sur un sous-bois verdoyant et constituant une variante ou une variation sur le thème désormais rebattu du confinement. Les trois premiers épisodes se déroulent à huis clos, dans un espace de plus en plus restreint. Ce qui frappe d’emblée est l’importance de la parole, avec des propos qui se superposent les uns aux autres et des conversations téléphoniques (smartphoniques, plus précisément), qui sont une manière de faire intervenir l’extérieur.

 

 

 

 

 

De la ville aux champs

Nous sont donnés à voir deux aspects de la Roumanie contemporaine. Un pays extrêmement prospère si l’on en croit les deux premiers volets du film, avec de beaux appartements cossus où se situe l’action. Mais également, par la suite, des décors qui le sont moins, comme la petite salle où deux médecins font une pause durant leur service à l’hôpital, où l’un d’eux évoque la mafia à laquelle serait liée sa dernière conquête féminine. Ou, encore, le village où un policier vient enquêter sur la mort d’un de ses collègues et on l’on assiste à un enterrement faisant défiler des prêtres en noir au son de chants archaïques. Dans la dernière partie du film, il est question d’enfants destinés à la prostitution ou au trafic d’organes…

 

MMXX est aussi une mosaïque avec, par exemple, une patiente qui se rend chez sa psy, laquelle se comporte bizarrement, lui proposant notamment de laisser tomber les masques chirurgicaux de rigueur, d’user du tutoiement et de remplir un questionnaire d’autoévaluation. Citons encore l’interruption de la séance par l’arrivée intempestive d’un proche de la psy venant lui soutirer quelques billets. Comme on voit, le style de Puiu mélange réalisme et comédie légère. Dans une autre saynète ayant lieu dans une cuisine des plus modernes, quoiqu’en un désordre indescriptible, deux jeunes gens se querellent à propos des gâteaux à préparer. L’un ne retrouve pas les ustensiles de son KitchenAid, l’autre s’en inquiète et enquête auprès de sa mère. Un coup de téléphone ajoute à la confusion et interrompt le travail de nos pâtissiers, qui annonce l’accouchement prématuré d’une amie.

 

De l’hôpital au cimetière

Dans une autre pièce, un jeune homme tente de réviser ses examens de médecine alors que tout le monde autour de lui s’agite et converse bruyamment. Dans cette cacophonie, les détails les plus insignifiants estompent les nouvelles graves. Un garçon reproche (une fois encore au téléphone) à son paternel de ne pas avoir choisi la bonne marque de rhum pour arroser le baba comme il se doit. La musique rock accompagne les dialogues de manière continue ; elle est elle-même fréquemment recouverte par des sirènes d’ambulances ou de véhicules de police. Retour à l’hosto et aux deux médecins du début, qui sont étendus dans une chambre sans fenêtre. L’un est inquiet, redoutant d’avoir attrapé le COVID. Il se teste tandis que son confrère évoque ses succès auprès des femmes… Succès qui ne sont pas exempts de dangers.

 

Un peu d’air enfin ! Le dernier sketch se passe à la campagne. Il traite de différends familiaux à propos de propriété et d’héritage. Une ténébreuse affaire que le spectateur peine à suivre. Un policier débarque au village. Depuis sa voiture, il dit à sa mère au téléphone des poèmes dont il est l’auteur. Commence alors son enquête sur un double crime ayant eu lieu dans les parages. Son assistant semble un peu débraillé pour assister à l’enterrement des victimes, vêtu d’un bermuda et d’une marinière. Le policier interroge une femme, tout d’abord réticente mais qui finira par lui avouer qu’elle a vendu son premier enfant à la mafia. Le policier reste silencieux et se joint au défilé de prêtres. Dernière réplique du film : « Prions le Seigneur contre qui nous avons tant pêché »

 

 

 

Visuel : photogramme de MMXX (2023)

Visuel © Shellac Films