En se promenant au sein de la Compétition de longs-métrages concourant en 2023 pour le Grand Prix Janine Bazin, pendant le temps des Entrevues de 2023, on croise des cinéastes qu’on peut observer faire des essais de forme et travailler leur style.
Projetés durant les Entrevues de 2023, à Belfort, deux longs-métrages prétendant au Grand Prix Janine Bazin retiennent pas mal l’attention. En grande partie car leurs formes font voir des réalisateurs toujours en recherche. Pas encore en plein dans la perfection – et c’est d’ailleurs tant mieux – ils paraissent vouloir assumer leur style à fond, en acceptant aussi de ne pas signer de sans-faute. On les remercie : c’est pour se pencher en profondeur sur de telles démarches que l’on se rend à Belfort, où se tient ce passionnant festival des premiers, deuxièmes et troisièmes films. Jusqu’au 26 novembre, cette année, on a le loisir de faire de vraies rencontres, via les images projetées, et de méditer longuement sur la direction dans laquelle elles paraissent vouloir aller.
Le long-métrage Tocka du réalisateur japonais Yoshitaka Kamada suit une jeune femme désespérée de trouver un sens à son existence, qui rencontre plus suicidaire qu’elle. Si ce thème a déjà été exploité par d’autres, la forme ici se distingue. Déjà, les images apparaissent enveloppées dans un ton semi-granuleux, et donc en équilibre entre grisaille et micro-poésie triste. Mais surtout, ce qui retient l’attention reste le traitement réservé à l’un des protagonistes, en l’occurrence le troisième larron de ce récit, un jeune homme pauvre tour à tour voleur, mais tour à tour généreux, qui se joint aux deux désespérés. Lui tombe tout le temps, victime de son quotidien dur. Tout le long du film, il subit des chutes accidentelles ou est mis au sol.
C’est au final de cet élément singulier, très marquant, que paraît surgir le rythme du long-métrage, et sa manière de progresser. Ainsi, après qu’on se soit imprégné de ce détail, on note que le but profond du film paraît être de donner à ressentir, tout du long, comment sans cesse les protagonistes s’apprêtent à en finir avec eux-mêmes et freinent tout à coup. Et à ce titre, on se prend à goûter et à vivre davantage les scènes où cet état d’esprit est suggéré, plutôt que souligné. Avec comme vecteur discret un mouvement, une attitude. Ce faisant, on a l’impression d’observer en fait le réalisateur chercher la forme la plus juste pour traduire le sentiment profond de ses personnages. Et la manière dont ils se mettent à se suivre sur un chemin menant vers une fin qu’ils choisissent, pas tout tracé.
Le long-métrage An evening song for three voices du réalisateur américain Graham Swon s’attache lui au rapport entre une poétesse acclamée proche de la folie, son mari auteur d’horreur et une jeune femme partiellement brûlée engagée par eux comme servante, dans le Midwest à la toute fin des années 30. Au sein de ce film-ci, la forme fait la part belle aux surimpressions, et aux couleurs vives même dans les séquences où le cadre est plus sombre. Tout en gardant des ombres sur les bords des images, comme pour grossir les détails présents au centre. Afin de lier ces éléments, la caméra reste très mobile.
Lorsqu’on l’observe faire un traveling arrière et capter trois silhouettes cheminantes, aux pas incertains, on songe à Béla Tarr. Lorsqu’on la voit ensuite tournoyer, c’est Terrence Malick qui vient en tête. Mais très vite, on se détache un peu d’elle et de la virtuosité dont elle essaye de faire montre. Et on observe comment elle s’échine à faire fonctionner les ingrédients de la mise en scène les uns avec les autres, dans le but d’être au service de l’histoire racontée. Le but est totalement atteint dans certains scènes, qui éblouissent. On pense en premier lieu au long récit de rêve fait par Martha, la servante. Dans cette séquence, le long-métrage atteint à l’abstrait et à la transcendance. C’est qu’il adjoint à ses procédés de mise en scène la voix de la magnifique actrice Deragh Campbell. Tenant fermement et justement une même note, elle fascine. En de tels instants, on observe le film se tailler une voie pour ouvrir des portes sur ce qui anime profondément ses personnages. Et par instants, le mélange qu’il opère donne sur des abymes vertigineux, et touche du doigt des frontières entre la vie et autre chose. On aime aussi cette fin toute de go, énonçant que la situation de départ a subi des changements en mettant en avant le naturel avec lequel ils se sont produits.
Au sein de cette Compétition pour le Grand Prix Janine Bazin, en cette année 2023 au sein des Entrevues, on est par ailleurs moins sensible, personnellement, aux choix de Laura Ferrés pour la quête familiale, existentielle, féminine et photographique qu’elle trace dans La imatge permanent. Mais davantage à l’itinéraire du personnage de Berman’s march, observé par le duo Joshua Pikovsky et Jordan Tetewsky : lui part en week-end, destination forêt, en voiture sur une route des Etats-Unis de nos jours. L’occasion de se confronter à l’imprévu, lors de ses arrêts, et au temps qui a passé, lorsqu’il retrouve ses connaissances au final. Et l’occasion de voguer au gré de petits événements très révélateurs croqués avec une belle patience.
Visuel (c) affiche des Entrevues édition 2023