Avoir le beau rôle… L’expression est plutôt péjorative mais cette comédie romantique intelligente de Victor Rodenbach est un bonbon qui nous interroge. Qu’est-ce qu’avoir le beau rôle dans l’histoire ? Comment fait-on pour trouver son beau rôle ? Et si le meilleur rôle était de trouver l’équilibre entre soi et soi, soi et l’autre ?
L’écran s’allume sur un baiser, en plan resserré, mais pas collé-serré. Et c’est bien là le problème d’ailleurs ! Nora (Vimala Pons), la metteuse en scène, est excédée que Henri (William Lebghil) n’embrasse pas plus fougueusement sa dulcinée. Elle va lui montrer de quel bois elle se chauffe… Elle veut, elle veut un baiser fougueux qui dise tout, qu’il veut fuir avec elle, détruire tout ce qui existe pour se reconstruire ensemble. Et elle lui montre, et ensemble iels succombent. C’est l’histoire d’une rencontre…
D’une rencontre, et en fait non ! Le générique de début défile avec les photos de leurs histoires d’amour, et le cadre s’agrandit, symbole du passage à une temporalité directe, symbole que les débuts posent des jalons mais que tout se joue aussi en permanence, dans l’avancement d’un ensemble. Nora et Henri ont fondé une compagnie et depuis des années, iels montent des pièces qui leur concèdent une certaine renommée dans le petit monde du théâtre. Iels sont en train de monter Ivanov, mais, et pour la première fois, Henri passe un casting pour un film important qu’il obtient…
Et ce n’est pas le plus difficile dans l’affaire, l’obstacle, c’est d’en parler à Nora, son alter-ego, sa metteuse en scène, sa complice avec qui il communique sans se parler, par le regard, un lien joliment mis en scène par le sous-titrage de leur communication non-verbale. Au sens propre comme au sens figuré, Henri est sur le quai pour un nouveau chemin, mais Nora peut-elle, veut-elle, en faire partie ?
« Je ne serai pas le premier à tourner un film et à préparer une pièce », lui dit-il sur l’oreiller… « A le faire bien si peut-être… » Nora est excédée et inquiète, blessée dans son ego aussi, abandonnée un peu. Elle se positionne en véritable cariatide, qui décide et qui aime porter, qui se plie pour le monde entier, pour ses projets. Elle s’offre le beau rôle, au sens définitionnel du terme et finit par le lui faire payer et le lui reprocher dans une scène déchirante. L’amour se retrouve accidenté, au bord de la route. Nora déborde d’émotions, de déception, capable de scénographier les scènes les plus complexes mais inapte à nommer ses émotions. L’actrice qui porte ce personnage de contradiction, Vimala Pons, les concentre d’ailleurs dans son visage, tantôt dur, tantôt tremblant, tantôt adouci.
La force de cette comédie romantique réside dans les multiples mises en abyme. Tout d’abord par les personnages secondaires. Les personnes annexes rencontrées, par Henri surtout sur le tournage, mettent en avant la notion d’appui et de support. Le couple ne peut tenir en lui seul. Il est – dans le cas présent – composé de deux personnes qui peuvent (si ce n’est doivent) s’appuyer aussi ailleurs, sur des ami·es, des collègues, des projets à soi. Des films, un Ivanov. En effet, le choix de ce dernier n’est pas anodin : tout en Ivanov fait écho à la situation, et nous fait trembler de tragique ! Tout comme le fait qu’iels soient acteur et metteuse en scène : leur métier est de dessiner des scènes et des personnages, de jouer des rôles, de trouver une manière de faire qui « fonctionne ». Mais savent-iels le faire dans la vraie vie ?
La question phare de cette histoire, au bout du compte, réside dans la possibilité de continuer à cheminer à deux, de reconstruire, de re-scénographier nos routines. Des indices sont glissés, tout au long du film porte cette idée, des trains – omniprésents ! – comme une allégorie de l’aventure, du chemin à faire pour se retrouver ou pour se séparer, à cet ouvrage noyé dans l’appartement en bazar : Marcel Duchamp, La vie à crédit…
Un couple ne peut tenir qui si chaque partie trouve une niche pour sa place dans cet îlot à deux, et pendant une heure et demie, avec légèreté et fracas, avec le réalisme de nos vies quotidienne, ce film nous le prouve. Les formidables Vimala Pons, William Lebghil, Pauline Bayle et Jérémie Laheurte, nous piquent par leur justesse dans nos vécus et nos contradictions, dans nos souvenirs de toutes ces fois où l’on s’est offert le beau rôle, sans prendre le temps de les distribuer, plus justement.
Film en salles le 18/12
De Victor Rodenbach | Par Victor Rodenbach, Camille Lugan
Avec William Lebghil, Vimala Pons, Jérémie Laheurte, Pauline Balle
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