Les éditions Exils publient une encyclopédie sur Jean-Luc Godard réalisée par le critique juif-iranien Youssef Ishaghpour. Une somme d’érudit qui traverse 29 films du réalisateur.
Un travail d’expert accessible à tous
Né à Téhéran dans une famille juive iranienne, le critique Youssef Ishaghpour (1940-2021) est venu en France en 1958, pour étudier le cinéma à l’École Louis-Lumière et à l’IDHEC (ancêtre de la Fémis). Également docteur en lettres, il avait une formation de sociologue et de philosophe. Son regard sur le cinéma est ainsi à la fois théorique et pratique, critique et passionné. Après avoir signé une trilogie sur Orson Welles, la somme qu’il a dédiée à Jean-Luc Godard et qu’il parachevait au moment de sa mort, en 1921, paraît dans une très précieuse édition chez Exil. Un ouvrage dense de 400 pages qui correspond à un travail de fond de 20 ans et qui enchantera les étudiants de cinéma. Ce bel ouvrage est néanmoins accessible à tous : en effet, cette encyclopédie fonctionne par entrée et se consulte film par film.
Une somme sur Godard
C’est en 2000 qu’Ishaghpour a rencontré Godard pour un dialogue publié sous le titre « Archéologie du cinéma et mémoire du siècle ». Citant largement le réalisateur lui-même, les 400 pages de son encyclopédie sur son cinéma semblent un approfondissement de cette conversation avec le cinéaste et son cinéma. Le fonctionnement titre par titre met de de côté quelques opus, notamment Le Mépris et l’ultime œuvre présentée à Cannes en 2018, Le Livre d’images. Mais il permet de balayer 29 films de Godard et de les passer au crible. Cette forme de l’encyclopédie est passionnante, notamment venue d’un théoricien de l’Histoire du cinéma. En effet, on peut consulter le livre pour mieux comprendre un film. Ou alors se lancer dans une plongée dans les 400 pages de réflexions où des réflexions thématiques se sédimentent d’un film à l’autre.
Un rapport critique à l’idole
L’un des plus grands points forts du livre est d’être capable de transmettre une passion pour Godard. Mais une passion qui ne se départit ni de « raisons », ni d’esprit critique au sens esthétique mais aussi politique du terme. Ainsi pour ce juif iranien venu à Paris qu’est Youssef Ishaghpour, le rapport de Godard aux juifs interpelle. Et il s’explique aussi dans ces pages, sans simplification. Partant du « double » juif de Éloge de l’amour, Ishaghpour parvient à relier l’ambivalence gênante de JLG vis-à-vis des juifs à son « socialisme », mais aussi à sa culpabilité, avec des outils psychanalytiques empruntés à Adorno et à l’école de Francfort. Et le critique n’hésite pas à épingler le précepte facile et simpliste des « victimes qui sont devenues des bourreaux en Palestine ».
Jean-Luc Godard, Une Encyclopédie est un ouvrage important, qui nous rappelle quel rôle le critique peut jouer dans notre espace public, notamment quand il s’agit d’y asseoir les idoles à leur juste place.
Youssef Ishaghpour, Jean-Luc Godard, Une Encyclopédie, Exils, 400 p., 29 euros.
Visuels (c) Gary Stevens — Jean-Luc Godard at Berkeley, 1968, Wikicommons CC BY 2.0 / couverture du livre
