La 29ème édition du Festival du Cinéma Allemand braque le projecteur sur la célèbre directrice de la photographie, scénariste et réalisatrice allemande, Judith Kaufmann. Trois de ses films figurent à l’affiche du festival et une masterclass ouverte au public est organisée en collaboration avec le Goethe Institut à Paris.
Le 9 octobre, le film Berlin, été 42 (titre original : Mit Liebe, Eure Hilde) ouvre le Festival du Cinéma Allemand au mythique cinéma parisien l’Arlequin. Présenté à la Berlinale 2024 et chroniqué ici, le cinquième film d’Andreas Dresen en compétition à Berlin relate les derniers mois de la vie de Hilde et Hans Coppi, résistants allemands exécutés par le régime nazi pour trahison et espionnage. La photographie rêveuse et percutante, le soin du détail, le rythme qui laisse le temps au temps porte l’inimitable « patte » de Judith Kaufmann.
Née à Stuttgart en 1962, Judith Kaufmann est l’une des rares directrices de la photographie mondialement reconnue « Seulement 25% de femmes entament les études de caméra en France, en Allemagne ou encore aux États-Unis et une fois les études terminées, seules 10% trouveront un travail », explique Judith Kaufmann lors de sa masterclass. Presque chacun de ses films a été récompensé pour la meilleure cinématographie dans les festivals les plus prestigieux : Corsage, Salle des profs, All About Me, Étrangère, D’une vie à l’autre, pour n’en énumérer que quelques-uns.
Lors de la masterclass, organisé au Goethe Institut le 10 octobre entre 13h à 16h, Judith Kaufmann présente son travail aux étudiants en cinéma et en études germaniques. Dans un dialogue riche et ouvert avec les étudiants, Kaufmann analyse leurs solutions pour la première et la dernière scène du film Corsage de Marie Kreutzer, avant de leur montrer et expliquer celles qu’elle avait choisies. A l’aide des extraits du film Corsage et d’un story-board, Judith Kaufmann nous offre ainsi un aperçu des différentes étapes de son travail, avant, pendant et après le tournage.
Avant de visionner Corsage (2022) à 17h à l’Arlequin, les auditeurs apprennent son passionnant « making of » de ce drame historique qui relate l’année 1877 dans la vie d’Elisabeth d’Autriche. La fatidique année de ses 40 ans à une époque où « une femme était considérée déjà vielle». Après l’emblématique incarnation de l’Impératrice d’Autriche par Romy Schneider dans Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957), « il s’agissait avant tout de faire quelque chose de très différent de ce Touristenkitsch ». Corsage plonge ainsi dans l’univers intime et la solitude d’une impératrice tourmentée, une mère aimante et une épouse tortionnaire.
La photographie joue le rôle déterminant dans la création de cet univers claustrophobe et oppressant. Judith Kaufmann précise ses choix du médium (Corsage a été filmé en 35 mm argentique), des ambiances (la solitude, la peur du vieillissement) , des décors (la froideur et le cloisonnement du Hofburg), du cadrage (« Je dois toujours voir les yeux » demande la réalisatrice Marie Kreutzer), de la lumière (comment amplifier la lumière des bougies ou du feu de cheminée dans les films historiques ?), des costumes (la perruque de Vicky Krieps, récompensée du prix d’interprétation à Cannes, a été produite à partir de vrais cheveux importés de l’Inde), sans oublier les contraintes techniques et financières (la location d’un paquebot, des grues, etc).
Le troisième film signée Judith Kaufmann, l’Étrangère (Die Fremde, 2010) de Feo Aladag, projetée vendredi matin, est de loin le plus dérangeant. Le premier film de la réalisatrice autrichienne qui a raflé une pléthore de prix dont le festival du film de Tribeca, relate l’histoire de la lutte d’une jeune mère germano-turque pour l’autodétermination entre deux systèmes de valeurs dont l’un sera fatal. « J’aime travailler avec des jeunes réalisateurs », explique Judith Kaufmann à l’issue de la séance, « car cela leur permet de bénéficier de mon expérience et moi, cela me permet d’influencer davantage le film, ce qui n’est pas pour me déplaire. »
À l’issue de Yom Kippour, le soir du 12 octobre, le Festival du Film Allemand nous propose, en avant-première, Riefenstahl, la lumière et les ombres, le nouveau documentaire sur Leni Riefenstahl, l’égérie nazi qui a toujours nié toute connaissance des atrocités perpétrées par le régime. « C’est le premier documentaire qui ait bénéficié de l’accès à ses archives personnelles », comme nous explique Alexandra Faussier, l’agente presse du Festival avant la projection.
Le réalisateur Andres Veiel a visiblement passé au peigne fin les 700 caisses de la succession Riefenstahl, devenue accessible après le décès, en 2016, de son compagnon Horst Berger, de 40 ans son cadet. Veiel recherchait des lettres, des enregistrements audio, des films privés, des coupures de journaux, des extraits de journaux intimes, des appels téléphoniques enregistrés, des lettres et des documents officiels, pour confronter les paroles publiques de Riefenstahl à la réalité documentée.
Le résultat est formel : la Riefenstahl qui émerge de ses archives personnelles est une femme manipulatrice, colérique, narcissique, sans la moindre empathie, mais avec un égo surdimensionné et une ambition qui raye le parquet. « C’est une championne des mensonges et des légendes », comme la décrira Andres Veiel dans une interview pour rbb.
À l’occasion d’une projection de Riefenstahl à Ghent, le réalisateur explique qu’au départ, il voulait créer une image alternative de Leni Riefenstahl intime, basée sur ses archives personnelles, mais qu’il s’était rendu compte qu’il n’y avait aucun décalage entre le personnage privé et public : « Il n’y a aucun doute que Riefenstahl éprouvait une profonde sympathie et admiration pour le mouvement nazi. » Mais ce que le film montre de manière tout aussi formelle et bien plus perturbante est que Riefenstahl a été, et ceci jusqu’à sa mort à 101 ans en 2003, soutenue et admirée en Allemagne.
La distribution prestigieuse fait rêver : Barbara Sukowa dans le rôle principal de Mathilda, une femme politique conservatrice, Lambert Wilson dans le rôle de Richard, son ami homosexuel et épris d’un jeune homme marocain, Malik (Habib Adda) et Banafshe Hourmazdi dans le rôle d’Amina, l’assistante de Mathilde. Le scénario est simple et efficace : Richard, qui est artiste, vit à Tanger et fait venir illégalement son jeune ami Marocain en Europe. Il demande à son amie de longue date, Mathilda, de le loger chez elle à Francfort où elle occupe le poste de ministre de l’UE du gouvernement régional et défend une politique migratoire ferme.
On devine la suite : une explosion à Francfort coïncide avec une escapade en ville du jeune Malik qui se lie d’amitié – enregistrée par des caméras de surveillance – d’autres jeunes Marocains et se retrouve vite au cœur de la chasse aux terroristes. Soucieuse de préserver sa carrière politique, Mathilda n’hésitera pas à mentir, mais se verra défiée par sa propre assistante. A la fin du film, dans un rebondissement peu crédible, l’ambitieuse Amina découvrira à la fois son sens de la justice et ses racines marocaines. Klandestin (Turning the tables) explore la complexité de l’immigration avec une belle équipe, mais peine à convaincre, malgré l’interprétation formidable de Barbara Sukowa.
Nous apprécions le focus du Festival sur Judith Kaufmann dont le travail mérite d’être mis en valeur à chaque occasion qui se présente. Les trois films qui illustrent son talent et son regard si reconnaissable – Berlin, l’été 42, Corsage et l’Étrangère – sont aussi une belle sélection de la cinématographie allemande des dernières années. Nous saluons également le nouveau documentaire sur Leni Riefenstahl. Veiel y déconstruit avec force et sans pitié l’image de l’artiste ingénue et mal comprise que Riefenstahl s’est construite au cours des années avec tant d’habilité que même des personnes avisées y croient encore.
Dans l’ensemble, le Festival du cinéma allemand reste fidèle à ses thématiques de prédilection. L’immigration (Klandestin, Gagnantes), la communauté turque en Allemagne (L’Etrangère, Elbow), la Shoah (le très attachant Voyage avec mon père avec un Stephen Fry étonnant) et le réalisme social (Tout ce que tu es) sont bien représentés, mais nous avons également apprécié le captivant et poétique documentaire sur la communauté sorabe (On l’appelle Hanka), un biopic sur Kandinsky et le Blaue Reiter (Münter et Kandinsky) et le thriller Terre brûlée, le deuxième volet d’une trilogie haletante de Thomas Arslan, entamée en 2010 avec A l’ombre. Le seul bémol de cette édition est son timing : le weekend de Yom Kippour est un faux-pas que le Festival du Cinéma Allemand aurait pu éviter.
Visuels : Corsage © Felix Vratny, Klandestin Barbara Sukowa © CALA film, Judith Kaufmann, © Judith Kaufmann, Leni Riefenstahl : dpa/Pictures from history