Claire Nebout, sur le FIFI : « Ce qui m’a poussée à venir, c’est le thème, l’insolite, l’étrangeté, les films qui sortent un peu du commun »

Pourquoi participer au Festival international du film insolite ?

Ce qui m’a poussée [à venir], c’est le thème, l’insolite et donc l’étrangeté, le bizarre, les films qui sortent un peu du commun, qu’on n’a pas l’habitude de voir dans nos dans nos salles de cinéma. Je n’étais pas trop déçue du voyage ! Et puis, ce qui était sympathique, c’est de se rencontrer, d’avoir des avis différents et de débattre sur des sujets.

Y a-t-il un ou deux films en particulier dont vous voudriez parler ?

J’ai beaucoup aimé L’Enfant à la peau blanche [de Simon Panay, qui a obtenu le Prix du Jury], parce que j’ai trouvé que c’était un film maîtrisé et qui est terrible. Et, en même temps, il s’en dégage une humanité, une humanité qui part à la dérive, parce que ce sont des conditions où les hommes sont en train de creuser des trous pour trouver de l’or. Le petit enfant chante et, tout d’un coup, la mine ruisselle d’eau et, pour eux, c’est important qu’il y ait de l’eau dans cette mine pour creuser un peu plus. La cruauté de ce film, en fait, c’est que son père est prêt à vendre son fils.

C’est un petit garçon albinos et, comme je le disais dans le palmarès [lors de la remise des prix], les albinos portent chance, ils sont considérés comme des saints et c’est déchirant parce que son père le dépose dans cette mine et, à la fin, il ressort de la mine et il cherche son père désespérément et ne le retrouvera pas. C’est cruel et en même temps, c’est très émouvant et ça m’a beaucoup touchée. Ça fait peur jusqu’à ce qu’il chante et tout d’un coup, il y a ce ruissellement d’eau qui tombe, il y a un côté un peu christique, un peu magique. Et puis, il remonte. Et il y a ce travelling comme ça dans cette mine où tout est noir. C’est très beau, c’est très beau visuellement, mais c’est très violent aussi.

Vous présentiez vous-même un court-métrage, La Boîte de Pandore. Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a poussée à passer à la réalisation ?

J’avais très envie de rendre hommage à aux œuvres de Florence Thomassin, qui est comédienne et avec qui j’ai tourné plusieurs films. Notre amitié s’est épanouie au fil du temps. Et donc, j’ai rencontré ses sculptures, j’en ai même acheté, et j’ai suivi son travail parce qu’elle exposait. Et puis j’ai eu envie de parler de ses créatures qu’elle crée en faïence. Ce sont souvent des femmes qui ont été abusées, abîmées par la domination, par le patriarche, par les hommes en général. Et il y a un peu d’autobiographie aussi chez elle. Alors ce ne sont pas des sculptures jolies, ce sont des sculptures qui sont dérangeantes et qui font un peu peur, mais qui dénoncent le mal fait aux femmes.

Ça, c’était plutôt le côté documentaire et, en même temps, j’ai inséré une fiction, c’est-à-dire que mon personnage retrouve Florence au sein de son atelier, dans une petite forêt dans l’Oise et tout d’un coup, il y a une sorte d’intimité féminine entre nous qui se dégage et une conversation intime, où elle parle de sa passion pour la glaise et de sa déception du métier d’actrice.

Mon personnage est un peu dérouté par cet univers un peu surprenant, étrange. Et en même temps, je n’ai qu’une envie, c’est de la quitter. Et donc elle me demande de rester pour sculpter une autre femme. Elle passe, dans son travail, à une autre étape où elle a envie de créer une femme qui se transforme et qui est à moitié végétale et à moitié animale et qui se défait de ses chagrins. C’est une femme qui fait ce qu’elle veut et qui est plus épanouie et plus proche de la nature et de l’animalité. C’est quelque chose d’organique et, en même temps, de libéré.

J’ai fait ce film pour France 3 et ça m’a fait du bien de passer à la réalisation. J’ai trouvé ça très dur, en fait, parce qu’en plus je jouais dedans. Mais après, j’ai eu l’envie de faire un autre film, comme ça sur une autre artiste, une danseuse étoile, Marie-Agnès Gillot, mais le film ne s’est pas fait.

Concernant La Boîte de Pandore, avez-vous d’autres influences esthétiques que les sculptures de Florence Thomassin ?

J’ai tourné un spectacle sur Frida Kahlo et j’ai toujours été aussi fascinée et en même temps étonnée du travail de Frida, qui a fait son œuvre à partir de son handicap, parce que c’est une femme qui a été blessée très tôt et qui a souffert toute sa vie et qui a fait de sa douleur une œuvre spectaculaire et donc très autobiographique.

En plus, c’est une femme artiste qui s’est émancipée dans les années 1920 et 1930. Et ce n’était pas facile d’être une femme artiste, surtout au Mexique. Elle a vécu dans l’ombre de Diego Rivera et elle devient la peintre la plus célèbre du monde et elle dépasse même son maître. C’est un personnage que j’ai eu beaucoup de plaisir à interpréter, dans une mise en scène plutôt rock et de performance : je suis sur un tapis de clous par exemple, comme les fakirs, et je joue avec de la terre, je joue avec des fleurs. C’est pas du tout une Frida impuissante, c’est plutôt le contraire. On s’est demandé : mais qui est derrière l’icône de cette femme ? Parce qu’elle est représentée partout aujourd’hui, sur les coussins, sur les rideaux de douche, sur des tapis, sur des maillots de bain, sur des chaussettes, sur des slips. Et elle se retournerait dans sa tombe [si elle voyait cela], parce que c’est à l’envers de ses idées, de ses convictions.

Pour revenir à La Boîte de Pandore, avez-vous envie d’en faire un long-métrage ?

Non, pas du tout. Non, en fait, moi, je n’aime plus que la scène aujourd’hui. C’est trop compliqué de faire des films. Ou alors, il faut faire des films avec très peu de moyens, comme le film de Mathias [Mlekuz, auteur de À bicyclette, projeté au festival]. D’ailleurs, c’est ce que j’ai fait quand j’ai tourné La Boîte de Pandore : on était cinq, donc c’était équipe légère. J’ai plutôt envie de chercher des textes et de me mettre en scène.

Avez-vous des projets précis à ce sujet ?

Je suis en train de lire un livre de Philippa Motte [autrice de Et c’est moi qu’on enferme, paru chez Stock cette année]. C’est sur la santé mentale et j’aimerais beaucoup l’adapter. C’est un cri sur l’état psychiatrique de la France. Il faut que je me renseigne par rapport aux droits. C’est un sujet qui est d’actualité et la langue de Philippa me plaît beaucoup.

Vous parliez à propos de votre film de l’importance de la violence patriarcale. On dit beaucoup qu’on en parlerait trop actuellement. Partagez-vous ce point de vue ?

Je trouve très bien que la parole se soit libérée. Après, je pense qu’on ne règle pas cela sur la place publique. Il y a des histoires qui doivent être jugées et c’est à la justice de le faire.