En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
La troupe a un nom de compagnie aérienne et le programme évoque d’avance les courbatures du dimanche soir. Kor’sia présente Mont Ventoux et la promesse de suivre Pétrarque dans une ascension moyenâgeuse. Autant dire que le livret ainsi résumé n’est pas en mesure de concurrencer le petit film du dimanche soir, et encore moins de remplir les 1300 places du Théâtre de la Gare du Midi. Mais à Biarritz, où le festival joue depuis 34 ans à dénicher les perles, on sait se méfier des intitulés et respirer dans les embruns marins les effluves de la bonne fortune.
C’est précisément le cas de ce collectif madrilène qui attire des danseurs d’exception comme un aimant —à l’image d’Émilie Leriche qui se produisait hier au théâtre de Bayonne dans Crocodile — , plante un propos net et tranché, invente des dispositifs artistiques en empruntant aux arts visuels ou à la dramaturgie et proclame que les arts du mouvement sont seuls capables de transmettre ce qui fonde nos sociétés. Ajoutons qu’après une pénible ascension, la descente de Pétrarque éclaira le Moyen Âge jusqu’à la Renaissance. Et qu’à la lueur de cet humanisme originel, Mattia Russo et Antonio de Rosa, les deux directeurs de Kor’sia, ont bien l’intention de retrouver le bon chemin pour changer d’ère. « Comment aller au sommet et voir le monde différemment ? » questionnent-ils. Puissante comme une danse urbaine, libre et fluide comme une clameur contemporaine, la révolution du Mont Ventoux est en marche. « Le changement ne peut venir que de nos gestes et de nos actions » assène le capitaine Mattia Russo. Avant de donner l’assaut à la colline avec ses neuf danseurs et danseuses en denim. Mesurer la pente, interroger la montagne, profiter de l’accélération de notre société en suivant ses soubresauts électroniques, chercher les points de vue, ralentir, gagner la cime, en faire un sommet pour le climat, dire la nécessité, le devoir absolu, charger, mettre en joue, décaniller le Moyen Âge, renaître. Et qu’importe le Pétrarque, pourvu que la voie soit dégagée.
Ascension
Plus que la vie du poète et son célèbre amour courtois, c’est donc le rite initiatique qui interpelle les deux chorégraphes, « l’ascension » même, abonde Antonio de Rosa. D’un état à l’autre, le chemin est souvent plus intéressant que la destination. Reste à trouver l’ardeur de le défricher, dans l’évidence du regain de la jeunesse.
Ce bon sens aurait pu causer la perte de la pièce s’il s’était agit de figurer une jeunesse, de l’enfermer dans ses représentations sociales, entre mal-être des banlieues, utopies révolutionnaires ou stigmatisation culturelle. Ou encore pire en recréant un Pétrarque 2.0, l’assaisonnant des ingrédients du moment, en faire un érudit instagramable et lui assigner une nouvelle tribu pour proclamer sa branchitude. Ce ne serait pas la première fois que la danse prend l’air du temps pour une partition éclairante.
Contre cette facilité, Kor’sia explore l’ère de notre temps, plantant une jeunesse, générique et éternelle, qui s’ébranle dans sa diversité et sa marche résolue vers le changement. Parfois fulgurante ou baroque, elle est délogée, déréférencée, entrechoquant les armures des guerres de cent ans et les caddies de supermarchés ou convoquant ses peluches dans son intime détresse.
Du fracas d’une grande ville au grand calme de la montagne, la narration réfute en trois temps les tendances du moment pour tracer une route singulière, et sinuer l’écriture sensible et poétique actuelle. Des jeunesses éparses finissent par faire corps dans un collectif galvanisé, à la fois refuge et solution de mobilité. C’est aussi le dispositif artistique choisi par Kor’sia, collectif pluridisciplinaire, pour réclamer sa place au monde, interroger notre société et y redessiner les fondements dans la sensibilité et la poésie.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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Visuel : © Maria Alperi