Pour un solo de roue Cyr et sur un texte puissant d’Anne Rehbinder, Antoine Colnot signe une mise en mouvements sur les souffrances d’une adolescente.
Tessa est une jeune lycéenne comme tant d’autres, a priori. Elle porte un jogging masculin pour cacher ses formes féminines et est en colère contre sa mère. Elle veut disparaître de ce commerce du sexe et de la drague dont parle souvent Virginie Despentes. Cette entrée si violente dans ce système qui exploite, humilie, catégorise ne se fait pas sans heurts et sans victimes, elle préfère donc s’en extraire en refusant de jouer le rôle de jeune fille sage que lui impose la société. Nous l’apprenons au fil du texte, cette colère a une source que l’on craint avoir compris assez vite pendant le spectacle. Mais le texte est aussi un chant d’espoir pour et par cette jeunesse qui parle encore et qui aime toujours.
Le très beau monologue d’Anne Rehbinder se fait par moments flow de slam, tant la scansion du texte est soutenue. On est happés par cette coulée de colère, saisis et c’est heureux, contraint à se taire et à écouter cette jeunesse. Tessa n’est pas une jeune fille, ni LA jeune fille, mais elle est, sans conteste, un peu de toutes les jeunes filles.
On aura rarement vu un objet inanimé devenir un tel partenaire de jeu. La roue Cyr dialogue véritablement avec la jeune interprète. Elle semble pourvoir être cette mère qui enferme à force de soins, d’ordres, d’injonctions contradictoires. Dans les premiers mouvements dans cette roue, on pressent la difficulté de sortir de ce cercle dans lequel elle a été enfermée : bien travailler, prendre soin de soi pour plaire aux garçons, mais ne pas coucher avec…
Et cette roue, se fait aussi le signe de tout ce qui sert le patriarcat. Lorsque l’excellente Mélodie Morin la porte à bout de bras au dessus de sa tête, elle semble être seule face à ce combat, face à des hommes violents et sûrs de leur bon droit sur les femmes. Elle semble vouloir en découdre avec lui et, pourtant, ne pas savoir comment s’en défaire non plus. De cet agrès si difficile, elle fait enfin une bulle pour se libérer, aussi étonnant que cela puisse paraître. Lorsqu’elle tourne à toute vitesse, suspendue à un bras, elle semble nous dire sa force, sa maîtrise et son envie d’envol. La manipulation de l’objet se fait de plus en plus virtuose et joyeuse, libérée.
La pointe du compas est un solo tout-terrain pouvant être accueilli en établissement scolaire. Et l’on souhaite à nombre d’élèves de croiser cette grande « petite » forme sur le chemin de leur émancipation.
Festival d’Avignon Off – Théâtre du Train Bleu (rdv aux jardins de l’ancien Carmel)
Les jours pairs à 19 h 05
Le texte est édité chez Actes-Sud Jeunesse dans la collection « D’une seule voix ».