Yann Dacosta adapte et met en scène le bouleversant récit de vie de Sarita Vincent Guillot, militant-e intersexe. Une proposition âpre, politique et impérieuse.
Né-e intersecté-e, Sarita Vincent Guillot a été torturé-e, le mot n’est pas trop fort, par le corps médical pour l’assigner à être un « mâle ». Le récit qu’iel en fait est absolument glaçant. Iel raconte le fait d’être ligoté-e à son lit d’hôpital enfant, les phrases absolument destructrices de ses parents, les propos insupportables de mépris et de violence d’un médecin, les agressions verbales de son ex… C’est la séparation d’avec ce dernier qui est le point de départ de ce regard rétrospectif sur les abandons qui ont jalonné sa vie. Le récit autobiographique ne passe rien sous silence jusqu’à la limite du soutenable. Les phases de dépression, l’angoisse de la solitude sont dites avec pudeur mais aussi sincérité. L’écriture de Sarita Vincent Guillot est belle, tantôt clinique, tantôt poétique, non dénuée d’humour et l’adaptation très réussie qu’en a fait Yann Dacosta montre son sens aigu des rouages d’un texte dramatique.
Sur scène, la musicienne et compositrice Anne-Laure Labaste accompagne de son violon, de ses compositions électroniques et de sa voix comme une mélopée, le récit incarné par Vincent Bellée. La nappe sonore qu’elle crée est très réussie dans la mesure où elle met à distance, poétise le propos. On sent le comédien très investi dans son jeu, à tel point que parfois celui-ci semble lui échapper, le dépasser. Le débit s’accélère tant, sous l’émotion sans doute, que le texte devient difficile à suivre. Incarner un tel texte, une personnalité aussi forte que celle de Sarita Vincent Guillot, est une gageure. Peut-être que ne pas aller chercher l’incarnation eût été plus juste, quand bien même Vincent Bellée nous émeut. Mais l’on sent une charge dans son travail d’interprète qui semble lourde à porter.
Le dispositif scénique est très réussi. Une pelouse synthétique verte, une table de jardin et ses deux chaises, un lit d’hôpital, un coin cuisine et un mur de fond de plantes vertes se partagent le plateau. On entre pleinement dans l’espace mental de Sarita Vincent : sa passion pour les plantes, les trop nombreux séjours à l’hôpital, les discussions avec son fantôme. On sent cet espace habité également par celles et ceux qui n’ont pas eu l’occasion de prendre la parole et pour qui Sarita Vincent Guillot est devenu-e un-e militant-e si important-e.
On ressent en soi une colère monter, pendant le récit de ses stigmates, tant physiques, psychiques que sociétaux, contre les gouvernements successifs qui ne font rien d’autre que rendre la vie encore plus difficile pour les intersexes. Offrir la possibilité d’un regard, d’une écoute et d’une prise de conscience des souffrances endurées par cette communauté méconnue semble essentiel. En cela, le spectacle est une réussite.
Cicatriciel Au théâtre 11, A 17h du 2 au 21 juillet 2024, relâche les 8 et 15 juillet
Crédit photo : Gauthier Typa