Le week-end d’ouverture de la 51e édition du Festival du cinéma américain de Deauville s’est installé sous le signe du centenaire de Paul Newman et du mot d’ordre « Libre échange ». Entre tapis rouges sobres et élégants, premières projections de fiction (avec Libre-échange, Bugonia ou Eleonor the Great) ou réalité (autour d’un documentaire sur le 7 octobre Holding Liat), et rencontres avec les personnalités du jury – présidé par Golshifteh Farahani – la question de la liberté et de l’enfermement s’est imposée comme le fil rouge d’un week-end déjà chargé en émotions et en icônes, avec Kim Novak et Pamela Anderson à l’honneur.
Par Yaël Hirsch et Hanna Kay
La 51e édition du Festival a démarré vendredi 5 septembre par une cérémonie élégante où l’on a vu «libéré» le corps dansant de Marie-Agnès Gillot, un hommage à la sauveteuse devenue icône indépendante Pamela Anderson par Daphné Bürki et Bilal Hassani et la projection d’une vraie comédie à la Feydau made in USA qui avait allégé l’ambiance à Cannes, Libre-échange de Michael Angelo Covino, présent avec son acteur Kyle Marvin. C’est sous un grand soleil et en irréprochables tenue & lunettes noires sixties que Pamela Anderson a arpenté les planches pour inaugurer sa cabine. Le premier film de la compétition était une échappée fantastique d’un père et ses enfants, Omaha de Cole Wembley, qui a eu tellement de succès que les 15000 places du CID étaient remplies et que de nombreux festivaliers ont du passer leur tour.
En parallèle, au Casino, la sélection des American Docs a présenté Holding Liat un documentaire percutant de Brandon Kramer, centré sur Liat Bein Atzili, une otage américano-israélienne enlevée le 7 octobre 2023 par le Hamas, ainsi que sur son mari. Traiter un sujet aussi sensible sans sombrer dans le sensationnalisme ou le manichéisme est un véritable défi, que ce documentaire relève avec brio. Ici, l’humanité prime sur les considérations politiques. Le film plonge dans l’intimité d’une famille israélienne dévastée après la perte de proches lors de l’attaque du kibbutz Nir Oz par le Hamas le 7 octobre. Montrant les images réelles du kibbutz ravagé, Kramer propose une enquête psychologique et politique qui explore les répercussions de cette tragédie à travers trois générations, en suivant les parents et les enfants de Liat et Aviv. Avec une grande sagesse et une empathie admirable, les membres de la famille, dont le père, la sœur et un oncle historien, s’expriment sans une once de haine. Les larmes sont contenues par pudeur, tant par les protagonistes que par le public. Le discours principal montre un désir de paix qui transcende la violence, englobant également la souffrance des Palestiniens à Gaza. Brandon Kramer, en explorant les racines du conflit israélo-palestinien avec nuance, remet en question les perceptions simplistes. Le père de Liat résume ce point de vue en déclarant : « Nous sommes dirigés par des fous des deux côtés ». Pour cette famille franco-américaine, qui a choisi de s’installer en Kibbutz en Israël, le deuil est double : d’une part, la perte de leurs proches lors de la tragédie du 7 octobre, et d’autre part, la déception envers un gouvernement qu’ils jugent plus préoccupé par l’anéantissement du Hamas que par le sort des otages. Holding Liat, lauréat du prix du meilleur documentaire à la Berlinale, parvient à mettre en avant la vie humaine au-dessus de la politique, illustrant ainsi la complexité de la société israélienne, malgré ses fractures. Un film à diffuser dans tous les festivals.
À 19h45, la présidente du Jury, sylphide et élégante dans sa blouse en soie blanche et son pantalon fluide noir, éclatait en larmes d’émotion devant la longue standing ovation que lui a offerte le public pour la distinction numérique que lui ont remise les équipes de l’INA et qui consiste en une compilation de ses interviews et interventions. Ce qui a permis de revenir sur l’exil de la comédienne, bannie de son pays après avoir accepté de tourner dans le film de l’américain Ridley Scott Mensonges d’État et participé à la conférence de presse sans son voile. Se traduisant elle-même de l’anglais en français et vice-versa, elle a fait un discours improvisé et poignant sur une liberté chérie et chère payée.
Certains et certaines ont pu voir à la Mostra de Venise le film « étoile » de la projection qui a suivi cette cérémonie : le caustique et grinçant Bugonia où Yorhos Lanthimos retrouve sa chère Emma Stone pour en faire une PDG sans merci, enlevée par deux jeunes apiculteurs convaincus qu’elle est une alien qui a pour mission de détruire les abeilles et la terre. La mise en scène est toujours aussi précise, la BO simplement canon, et la cruauté théâtrale, mais aussi un peu gratuite et difficile à encaisser même si le complotisme paranoïaque et ses débordements est très justement dessiné. Réflexion mordante sur les dysfonctionnements de notre société contemporaine à travers une narration débridée, tout y passe : le capitalisme effréné, l’illusion de la femme « parfaite » qui en devient presque fausse, les tourments de la solitude et du célibat. Entre science-fiction, comédie et surtout provocation, le film dresse le portrait d’une société malade en quête de sens et de médicaments, où la médecine apparaît bien souvent démunie face aux cancers et aux troubles mentaux… En revanche, les scènes de torture et de violence finales sont parfois difficilement soutenables : sont-elles vraiment utiles ? À noter : le bugonia est réellement une légende méditerranéenne antique qui veut que des abeilles puissent « naître » de la carcasse d’une vache, symbole qui interroge sur la régénération et les cycles de la vie.
Quant à la journée du dimanche, elle a commencé au soleil avec un film que nous avions pu voir dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes, le premier jamais réalisé par Scarlett Johansson, Eleonor the Great. (Lire notre atticle). Une plongée dans le deuil d’une vieille dame qui usurpe la biographie de sa meilleure amie rescapée des camps pour tenter de se remettre de sa mort… Dans l’après-midi le nouveau film de Kelly Richards, The Masterminds mêlait un hors-la-loi à la question de la libération des femmes tandis qu’en séance étoile, le soir, nous pouvions voir l’un des films les plus « folk » et délicat de la compétition cannoise, Le son des souvenirs d’Olivier Hermanus.
On attend encore que le festival ouvre bien des carcans d’ici sa clôture le 14 septembre.