Parmi les innombrables internautes haineux qui ont cyberharcelé l’artiste Rebecca Chaillon en juillet 2023 après la présentation de sa pièce Carte noire nommée désir, sept étaient jugés les 22 et 23 octobre derniers. Au procès, les médias ont souligné l’étonnement terrifiant et le racisme continu et banalisé de ceux qui comparaissaient devant le tribunal de Paris. Trois à six mois de prison avec sursis ont été requis contre eux.
Le détachement qu’ont exprimé les sept prévenus a fait froid dans le dos. Jugé·es pour cyberharcèlement et apologie de crimes contre l’humanité, ils et elle comparaissaient les 22 et 23 octobre au tribunal de Paris. Deux plaintes avaient été déposées par l’autrice et metteuse en scène Rebecca Chaillon ainsi que la productrice Mara Teboul, pour cyberharcèlement aggravé du caractère antisémite des propos la visant. Les faits remontent à la présentation en juillet 2023 de sa pièce, Carte noire nommée désir dans le prestigieux Festival d’Avignon.
Étonnement, naïveté difficile à croire, absence de remise en question… Le récit fait par les médias du comportement de ces individus frappe par l’impression d’impunité qu’ils semblent ressentir. Parmi les moments les plus lunaires, la journaliste Anne Diatkine raconte dans Libération la justification de l’un des prévenu·es : « « Ces gens-là, les organisateurs de la pièce et la metteuse en scène, j’aurais aimé qu’ils soient jugés, condamnés et fusillés.» Un peu interloqué, le tribunal le questionne : «Est-ce qu’on rend la justice en France en fusillant des gens ?» »
Comment expliquer cette déflagration et ce sentiment de toute-puissance et de normalité ? L’été 2023, la metteuse en scène et performeuse présentait une réflexion coup-de-poing sur le racisme et la place des corps féminins noirs dans la société occidentale. Dans la foulée, les politiques réactionnaires Gilbert Collard et Eric Zemmour s’insurgent respectivement sur la toile d’un supposé « racisme anti-blanc » et d’une « volonté de génocider les blancs ». Ils n’ont pas vu la pièce, mais se rapportent à une photographie du spectacle dans laquelle une comédienne tient un manche à balai où sont embrochés des poupons blancs.
La machine infernale est lancée. Rebecca Chaillon et Mara Teboul reçoivent un flot d’insultes sexistes, grossophobes, antisémites et racistes et des appels au meurtre sous la forme de commentaires en ligne. Une des interprètes est même agressée physiquement durant le festival et contrainte de renoncer à la tournée pourtant prévue. La justice parvient, suite aux plaintes, à retrouver la trace de seulement sept des auteurs de ces démonstrations de haine décontractée.
45 à 70 ans. C’est la tranche d’âge de ces prévenu·es qui « viennent de toute la France », détaille Raphaël Kempf, l’avocat de Rebecca Chaillon et Mara Teboul. « Côté catégorie socio-professionnelle, poursuit-il dans un article de France 3, on a des très précaires, qui touchent le RSA, et des gens riches, voire très riches ».
Ces six messieurs et cette madame tout le monde laissent des marques encore profondes pour leurs victimes. À la barre, écrit Anne Diatkine, Rebecca Chaillon raconte l’enfer qu’ont provoqué cette vague de haine et son impossibilité à travailler. L’artiste ajoute : « J’ai aussi reçu des soutiens du public et de mes proches, mais ça n’a pas suffi, les effets sont toujours là et réactivés en entendant la violence qu’on m’adresse : le flot d’amalgames qu’on perçoit en voyant mon corps. » Les peines requises suffiront-elles à soigner le mal causé ? « Je ne sais pas si c’est réparable » confie-t-elle selon l’AFP. Le 16 décembre est la date fixée pour le délibéré.
Visuel : capture d’écran du compte Instagram du photographe Cyril Zannettacci à l’origine du portrait de Rebecca Chaillon.