L’annonce le 8 juillet du prêt de la tapisserie de Bayeux par Emmanuel Macron au British Museum a provoqué des réactions mitigées. Entre célébration de la capacité diplomatique et crainte d’une détérioration durable de ce chef-d’œuvre, retour sur une affaire pleine de remous.
« Un moment historique », salue Patrick Gomont, maire de Bayeux et vice-président de la Région Normandie en charge de la Culture et du Patrimoine, pour qualifier la décision d’Emmanuel Macron de prêter ce monument de l’art roman du 11e siècle au British Museum à Londres, « lieu du couronnement de notre duc de Normandie ». Le président de la République l’avait déjà promis en 2018. Au niveau politique, ce choix s’explique par la nécessité d’entretenir des liens avec nos voisins étrangers. « La ville de Bayeux […] se réjouit que l’œuvre dont elle prend soin depuis près de mille ans retourne quelques mois sur les lieux où elle aurait été créée à la fin du XIème siècle », peut-on encore lire sur le site du musée.
Du côté du milieu de l’art, en revanche, c’est une autre histoire. Dans une conférence de l’Institut national du patrimoine publiée en 2023, les conservatrices de textiles patrimoniaux Thalia Bajon-Bouzid et Raphaëlle Déjean faisaient déjà le constat suivant : « Ça n’est vraiment pas un bonne idée de la faire voyager dans l’état actuel. Après restauration, ce serait à réétudier et à voir puisqu’elle reste très fragile. Puis c’est une œuvre exceptionnelle, s’il arrivait quoi que ce soit lors d’un transport, ce serait vraiment très dommageable. » Longue de près de 70 mètres sur 50 mètres de hauteur, la tapisserie est particulièrement exposée aux vibrations et aux chocs en cas de transport par avion ou camion. Après l’annonce d’Emmanuel Macron, d’autres conservateurs et spécialistes du milieu de l’art se sont inquiétés d’un possible déplacement d’un tel bijou.
Une pétition a déjà récolté plus de 70 000 signatures en deux mois, pour appeler le chef de l’Etat à ne pas prêter cette création hors-norme. Dans ce texte publié par le fondateur du magazine en ligne La tribune de l’art, Didier Rykner demande « au président de la République de renoncer à ce projet. Ce prêt serait un véritable crime patrimonial.»
Le 11 juillet, le musée assurait, face à ces nombreux questionnements, que « début avril 2025 une simulation de l’extraction de la tapisserie hors de son local technique a permis d’anticiper chaque geste du futur déplacement réel. Décrochage sécurisé, installation sur un paravent de transport, cheminement vers une réserve temporaire… Tous les scénarios ont été joués dans des conditions réelles. »
La structure tente aussi de rassurer en assurant que ce joyau bénéficiera d’une « ingénierie au service de sa manipulation délicate, notamment pour la faire passer d’une station verticale dans laquelle elle se trouve depuis sa première exposition au public en 1842, à un déploiement horizontal lors de sa réinstallation dans son nouvel écrin. » Cette mise en place permettrait de ralentir les futures détériorations.
L’établissement normand est fermé depuis le 31 août pour rénovation et agrandissement de septembre 2025 à octobre 2027. La tapisserie, quant à elle, doit être restaurée, mais la date n’est pas encore actée. Or, Emmanuel Macron a officialisé le prêt du chef-d’œuvre à nos voisins outre-Manche de septembre 2026 à juin 2027. « L’œuvre appartient à l’État, ce sera au Ministère de la Culture de programmer les opérations de restauration de la toile dans les années à venir. Ces opérations liées à sa conservation pourront se faire dans son nouveau local de présentation à l’intérieur du musée mais aucune date n’est encore déterminée », détaille le site. Pourtant, on l’a vu, un déplacement sans restauration pourrait l’abîmer durablement.
L’Etat n’en démord pas. La Direction générale des affaires culturelles (DRAC) Normandie a lancé en août un appel d’offres pour déterminer, par des études complémentaires, les conditions de conservation et de transport de l’œuvre inscrite au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO vers le musée britannique. L’appel prendra fin le 22 septembre 2025.
La tapisserie de Bayeux doit être prêtée au British Museum à Londres de septembre 2026 à juin 2027. © Mairie de Bayeux.