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À Londres, Lucia di Lammermoor prise dans un tourbillon de violence

par Paul Fourier
21.04.2024

La reprise de la production londonienne nous a laissés sur notre faim en raison de la production, certes toujours efficace, mais surchargée, de Katie Mitchell et d’un manque global de finesse dans l’interprétation et la direction.

Lorsque Walter Scott publie, en 1819, The bride of Lammermoor, il ajoute l’une des grandes héroïnes « gothiques » au catalogue de celles qui sont infailliblement victimes des agissements des hommes, car, maltraitées, fréquemment emprisonnées et, finalement, rendues folles.

 

S’il s’agit d’une nouvelle littéraire, le genre opéra, de son côté, n’est pas en reste, lorsqu’il s’agit de se saisir de ce type de figures caractéristiques. Ce sera notamment le cas pour les compositeurs belcantistes, Bellini et Donizetti en tête. Avec son Imogène de Il Pirata (1827), Bellini a lancé la tendance. Cette héroïne sera bientôt rejointe par Elvira de I Puritani, puis par Anna Bolena (1830) de Donizetti, le rival. Ce dernier va ensuite porter le concept très haut, lorsqu’il mettra finalement en musique la scène emblématique du genre, celle de folie, hallucinante, de Lucia di Lammermoor qui suit le meurtre sauvage de son époux.

 

La carrière de l’opéra a difficilement commencé, Donizetti étant, à cette époque, comme tant de ses confrères, sans cesse harcelé par la censure de Ferdinand II, le Roi de Naples, ville dans laquelle l’œuvre devait être créée. La conception de Maria Stuarda a déjà été considérablement perturbée, ici même et pour les mêmes raisons ; mais Donizetti n’est pas n’importe qui. C’est un compositeur auréolé par l’immense succès d’Anna Bolena (Milan, 1830) et la menace du théâtre de San Carlo de se mettre en faillite (entraînant de facto, l’arrêt du salaire des chanteurs, dont celui de Fanny Tacchinardi-Persiani qui, pour cette raison, refusa de répéter), va finalement débloquer la situation.

Le 26 septembre 1835, la Diva peut monter sur scène, pour la création de Lucia di Lammermoor, aux côtés de Gilbert-Louis Duprez (Edgardo) et Domenico Cosselli (Enrico). Trois jours auparavant, Bellini vient de mourir, et Donizetti va, alors, devenir le roi incontesté de la planète opéra.

 

Après Naples, Lucia part à la conquête de Vienne, de Madrid et surtout de Paris, à ce moment grande capitale du genre lyrique où Donizetti, – notamment adoubé par Rossini – va régner en maître. Son influence sera telle qu’à la fin des années 30, outre ses productions à l’Opéra de Paris et à l’Opéra Comique, les Parisiens pourront entendre la version italienne de Lucia au Théâtre Italien, pendant que la version française est donnée au Théâtre de la Renaissance…

 

Si l’on revient à l’œuvre, cette « fiancée de Lammermoor » montre une femme maltraitée par les hommes ; mais, sa qualité première est de décider de leur résister et d’exprimer (de manière tragique) ses propres choix. À une époque où le droit des femmes n’était guère important et où celles-ci n’existaient, en général, que par leur statut marital, le thème représente alors une forme de révolution…

Et, si ce n’est pas le cas de tous les livrets de cette époque, celui de Salvadore Cammarano possède d’incontestables qualités narratives et dramatiques, avec des personnages extrêmement bien caractérisés.

Les ajouts de Katie Mitchell

Mais, cette puissance intrinsèque n’a pas suffi à la metteuse en scène, Katie Mitchell, qui, en voulant actualiser le propos, a ajouté plusieurs couches, comme on rajoute des ingrédients sur un gâteau qui serait déjà bien équilibré (même si l’on doit reconnaître que Mitchell a précédemment corrigé sa copie, à plusieurs reprises, depuis la création du spectacle en 2016).

Déplaçant l’action au XIXe siècle (probablement pendant l’ère victorienne, alors que la gent masculine se réunissait dans des clubs qui lui était exclusivement réservée), Katie Mitchell ajoute un composant sexuel, Lucia, ayant consommé sa liaison avec Edgardo, découvre qu’elle est enceinte. L’on peine ensuite à savoir si l’avortement de l’enfant qu’elle porte est provoqué par les chocs successifs qu’elle subit, ou s’il résulte de son inflexible intention, Lucia s’affirmant alors, par cet acte terrible et volontariste, après le meurtre d’Arturo, et avant son propre suicide.

Certes, ce faisant, Katie Mitchell renforce le côté féministe de Lucia, mais, en la matière, le trop étant l’ennemi du bien, cela surcharge la narration et, en définitive, n’ajoute rien de probant à un récit déjà dramatiquement puissant.

 

De surcroît, en recourant, de façon systématique, à un procédé scénique de « split screen » (le plateau étant constamment coupé en deux), elle attire le regard – souvent au détriment du confort d’écoute – sur des événements d’ordinaire hors-champ, dont certains s’avèrent finalement inutiles, voire à la limite du grotesque, lorsque que la scène de meurtre se déroule « façon Basic instinct ».

 

Enfin, en dramatisant l’histoire encore plus qu’à l’ordinaire, Mitchell met en permanence en exergue la violence, une violence scénique d’une part (de nombreux objets volent sous l’effet des coups de sang du frère ou du fiancé), mais aussi, quant au choix musical assumé par l’équipe, de nombreux excès vocaux poussant parfois les personnages, notamment Enrico, aux frontières de la caricature.

La prestation surtout spectaculaire de deux chanteurs et de l’orchestre

Artur Ruciński expose donc le visage et la voix d’un frère uniformément « vraiment très très méchant ». Ses attitudes de scène nous l’affirment et sa voix alors ne présente guère de nuances, l’artiste étant, trop souvent, préoccupé par son exceptionnel souffle et la longue tenue de ses notes finales. C’est d’autant plus regrettable que la voix, quoique peu riche en couleurs, est belle et d’une stabilité exemplaire… et que le talentueux baryton mérite mieux que cette course aux décibels.

 

Ce choix de la « performance » à tout prix est aussi, malheureusement, celui fréquemment emprunté par Nadine Sierra, une soprano dont on connaît les moyens considérables (on a pu en juger, dernièrement, dans sa Traviata parisienne).

Dans cette veine, son premier air (« Ancor non giunse! (…) Regnava nel silenzio (…) Quando rapito in estasi ») s’avère éclatant, même si l’on note, néanmoins, que la performance est plus souvent placée sous le signe de la puissance en mode « forte », que sous celui de la nuance, la soprano ne nous gratifiant d’aucun des sons filés pourtant bienvenus dans cette partition. Et son « air de la folie » ne manquera pas d’être également spectaculaire, même si peut noter quelques tendances à la transposition de certains aigus.

La scénographie de Mitchell s’appuie sur une interprétation de Sierra fondamentalement physique qui doit assumer, par son chant, certaines scènes excessives, telle celle du duo avec un Enrico un peu trop brutal. Cela conduit l’héroïne, féministe avant l’heure, à perdre sa part de fragilité. Les nombreuses qualités de la soprano sont appréciables, mais il manque une dimension que tout le monde, Mitchell en tête, a laissée sur le bord du rude chemin emprunté par Lucia.

 

En cette première, face à Ruciński et Sierra, Xabier Anduaga semble avoir du mal à trouver sa place, car il est le seul à faire le choix d’un chant mesuré et stylé, choix qui paraît plus conforme à la tradition belcantiste. De fait, sa tentation d’apporter des nuances se heurtera souvent au rouleau compresseur imposé par les deux autres interprètes (comme par le chef).

Cela n’empêchera heureusement pas le ténor de nous dispenser une très belle, sinon inoubliable, dernière scène (« Tombe degli avi miei (…) Tu che a Dio spiegasti l’ali »). Pour profiter des subtilités qu’il est capable de mettre dans Lucia, il faudra donc attendre d’entendre l’artiste avec d’autres partenaires…

Dans le reste de la distribution, on notera surtout qu’Insung Sim est un Raimondo efficace, et que le ténor uruguayen, Andrés Presno nous donne un Arturo assez élégant, alors que le chœur du Royal Opera de Londres lui, s’inscrit dans la démarche musicale saturante imposée par le chef.

 

Car Giacomo Sagripanti, que l’on a connu bien plus inspiré, fait le choix de mener l’orchestre à toute allure, à la manière d’un rouleau compresseur destiné à ébaubir l’auditoire, suivi en cela par ses interprètes.

Finalement, on peut avoir l’impression d’y perdre en route, un peu de l’esprit raffiné du belcanto donizettien, même si le public londonien semble avoir souvent apprécié cette représentation très démonstrative.

Dans la seconde distribution de cette nouvelle série londonienne, l’on retrouvera deux jeunes chanteurs, Liv Redpath (Lucia) et Ioan Hotea (Edgardo) et la comparaison promet d’être intéressante.

Visuels : © Camilla Greenwell