Victor de Oliveira, complice au long cours de Wajdi Mouwad, présente à la Colline Limbo, créé à Lisbonne en 2022.
Né au Mozambique, élevé pour partie au Portugal et désormais artiste en France, Victor de Oliveira interroge dans ce spectacle performatif son identité trouble et métisse. Métisse en raison de ces voyages qui font de lui l’homme de plusieurs pays, mais aussi de la couleur de peau de ses parents, l’un blanc, l’autre noire. Ce métissage sera lourd à porter pour l’enfant qu’il était, traité de « blanc » au Mozambique, de « noir » dans le Portugal de Salazar.
Il revient sur le mélange dont il est le fruit en composant d’abord un important arbre généalogique. De filles-mères en pères inconnus, de géniteurs blancs en mères noires, cette filiation rappelle au public que la colonisation portugaise fut d’abord celle des utérus, les colons blancs parsemant le Mozambique des rejetons issus des viols dont les adolescentes mozambicaines étaient les victimes.
Ce retour dans l’histoire coloniale portugaise, encore si proche de nous du fait de la dictature de Salazar, qui continua à célébrer le « Jour de la Race » jusqu’à la Révolution des Oeillets, se fait donc au gré de l’histoire familiale de l’acteur-metteur en scène. Une mère noire, certes, mais un père attaché à ce passé perçu comme héroïque. Face public, Victor de Oliveira nous conte ce douloureux passé en interprétant tour à tour les différents personnages de son récit.
Il ne saurait toutefois être question de jouer la larme facile. Bien au contraire, l’humour a toute sa place dans ce récit agrémenté de traits ironiques et peuplé de personnages tous plus improbables les uns que les autres – ce père, on l’aura compris, mais aussi un journaliste portugais demandant à l’artiste métis s’il se sent héritier des Conquistadores portugais ! À se demander si, depuis 1975, le monde a véritablement évolué.
Cette nouvelle question est traitée elle aussi sur le mode du récit, avec l’évocation de la violence des skinheads, une interrogation sur la sous-représentation des Noir·es à la télé et au cinéma et la recherche, grâce à la figure tutélaire des Noir·es américain·es, d’une unité à ces Afrodescendant·es qui n’en peuvent plus de devoir toujours montrer patte blanche. Les lumières de Diane Guérin, qui passent du blanc mat à l’orange flamme lors de la guerre civile mozambicaine, et la musique d’Ailton Matavela accompagnent avec force cette narration.
Enfin, grâce au travail vidéo d’Ève Liot, un très beau panorama de photos prises lors de manifestations antiracistes en France, aux États-unis ou au Portugal provoque une forte émotion par les souvenirs de communion collective qu’elles évoquent, mais apparaît aussi comme une terrible alerte : non seulement le racisme n’est pas mourant, mais il est renaissant partout en occident.
Limbo fait passer les spectateurs et spectatrices par une multiplicité d’émotions denses et intenses qui marquent durablement.
Visuel : © Joana Linda