Théâtre

« Cavalières » à la Colline : un souffle de féminité(s) et d’audace signé Isabelle Lafon

par Anne Verdaguer
23.03.2024

Denise vit a 100 à l’heure, comme attachée à un chronomètre. Jusqu’au jour où une petite fille «particulière » vient bousculer son quotidien. Comme d’habitude, la vie est entrée par effraction, dira-t-elle. Elle décide alors de s’inventer une autre vie, de construire une famille, autrement. Ode émouvante à la différence, aux femmes et à l’importance des mots et de l’écriture, Cavalières d’Isabelle Lafon donne des ailes à nos envies d’inventer des nouveaux possibles.

Quatre femmes s’avancent dans un raie de lumières, le plateau est nu. D’où sortent elles? qu’ont-elles à dire? Et quel rapport avec le cheval? La première, Denise (Isabelle Lafon) raconte qu’elle ne veut pas paraitre sympathique, qu’elle a mauvais caractère mais aussi qu’elle n’a pas peur de la sentimentalité. Drôle d’oiseau. Elle est entraineur(e) sur le champ de course (elle exerce un métier pour lequel il n’y a pas de nom de femme, dit-elle). Un travail loin de ce que l’on pourrait en penser et loin de toute forme de capitalisme. Bien au contraire. Le cheval, il faut du temps pour l’apprivoiser, d’abord marcher à coté de lui; ce n’est pas naturel de lui monter sur le dos. Il prend son temps, il nous oblige à ralentir. A ressentir aussi. Ils sont courageux et gentils, les chevaux. Un jour, quelqu’un lui dit quelque chose de précieux : observe inlassablement.

S’échapper du cadre

Les trois autres protagonistes ont toutes un point commun avec Denise, elles ont un parcours semés d’embuches, de « bûches » comme celles que l’on prend quand on tombe de cheval. L’une d’entre elle, Saskia (Johanna Kothal Altes), silhouette longiligne et chevelure-crinière, vient d’un pays du Nord, elle raconte qu’elle n’est jamais au bon endroit, que sa relation avec Denise est précieuse, que c’est comme monter à cheval, que c’est un équilibre, entre ce que veut le cavalier et ce que veut l’animal. Elle, son accident, c’est qu’elle a perdu ses mots. En toute conscience.

Jeanne (formidable Sarah Brannens) dit carrément être un brouillon. Rien à voir avec le fait d’être perdue. Ah et elle a cette manie de ne pas finir ses phrases. Une « curieuse » personne qui tire sans doute trop sur les rennes, comme elle se définit elle même. Enfin Nora la mystérieuse(Karyll Elgrichi), a été mise à pied. Elle est éducatrice et travaille avec de jeunes délinquants. Son secret ne sera dévoilé que bien plus tard.

Récit brut

Ces quatre femmes semblent ne rien avoir en commun. L’envie d’être ensemble mais aussi la peur des autres. Leur rapport passe par des lettres, des petits mots, des post-it. Écrire pour dire, pour raconter cette histoire qu’elles vont vivre ensemble. Toutes les quatre vont créer de nouvelles façons de faire famille, et surtout d’être là, les unes pour les autres. Tout de suite, des exigences sont posées : avoir un rapport avec le cheval, arriver dans un appartement vide et y vivre sans rien. Ce sera difficile au début, mais une petite fille « particulière » viendra les rassembler autour d’un projet commun, d’un amour commun.

Dans Cavalières, Isabelle Lafon délivre un récit brut et sans artifice. Une recherche dans les mots, les façons d’être, qui se fait pendant le processus de création, mais aussi tous les soirs sur scène grâce à l’improvisation. Un travail fait de « tentatives » et de « recherches d’autre territoires », comme l’auteur et metteuse en scène aime le définir, accompagnée par la pensée de Fernand Deligny (écrivain et éducateur, qui travailla toute sa vie aux côtés d’enfants ou d’adolescents en marge) et Donna Haraway (philosophe américaine qui a remis les femmes au cours de la science et de la biologie). Son théâtre vient lui aussi interroger notre rapport aux autres et à la vie, cette aventure si «particulière» et «étrange» comme sait l’amener Isabelle Lafon au plateau, avec humour et humilité.

Cavalières au Théâtre de la Colline, conception et mise en scène d’Isabelle Lafon, jusqu’au 31 Mars. Durée estimée 1h15

Photos copyright : Laurent Schneegans

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