Depuis la naissance de Cult en mai dernier, les rédactrices et les rédacteurs n’ont cessé de sillonner les lieux culturels en quête de découvertes. Alors, quelles sont leurs grandes révélations à l’aube de 2024 ?
Mon plus grand choc de tout 2023, et pourtant l’année a été très riche en chocs esthétiques, est sans hésiter la version de Einstein on the beach de Suzanne Kennedy. J’ai adoré la façon dont elle a fait passer cette œuvre mythique du XXe siècle dans le nôtre en invitant le public à habiter son temple ancien du futur. Je ne m’en remets pas ! Mais je ne peux pas en rester là. Retrouver l’art concret, celui de la performance à son plus haut niveau depuis les années 2000, était pendant le dernier Festival d’Avignon un soulagement. Bonne nuit Cendrillon de Carolina Bianchi, c’est pour la vie ! Tout comme les images du Jardin des délices de Philippe Quesne, poétiques et politiques.
Amélie
Pour moi, Yaël, 2023 est l’année du réel rebond. Pas seulement avec la naissance de Cult.news, mais aussi avec une effervescence en salle et à Paris comme nous ne l’avions pas vécue depuis 2018. L’élégance de Paris+ m’a marquée, l’impact de lieux phrases nouveaux comme l’Académie du climat, Push Manifesto ou encore le Hangar Y m’ont bluffée. Sans parler des nouveaux restaurants et même lieux de nuit (oui ça danse et ça balance de nouveau en France), ainsi que des salles qui jouent à guichets fermés… Il est loin le temps où nous avions peur que nos publics restent sur le canapé à regarder leur écran d’ordinateur ! Côté scène, je rejoins follement Amélie (cela ne vous étonnera pas). J’aime de plus en plus être surprise, sollicitée et en mouvement. La metteuse en scène qui m’a le plus séduite est Jeanne Desoubeaux. J’ai suivi avec jubilation ses deux créations de l’année : une Carmen itinérante et une Esmeralda avec un bûcher fou d’une compositrice injustement oubliée, Louise Bertin. J’ai aussi aimé suivre le travail remarquable et exigeant de Un temps pour elles et la boîte à pépites pour les femmes compositrices et j’ai adoré redécouvrir mille visages d’Agnès Varda à la Cinémathèque : elle arrive encore à me surprendre et elle me manque. Côté cinéma, le Conann de Bertrand Mandico est tout simplement remarquable. Et j’ai découvert tardivement l’audacieuse Tour de Guillaume Nicloux. Enfin, en littérature, je suis restée très mainstream et je dois avouer que le travail lent et lancinant de l’excellent Prix Goncourt m’a permis de découvrir Jean-Baptiste Andréa.
Yaël
L’année 2023 du théâtre français aura été marquée (pour toujours !) par la création à l’Odéon d’un Andromaque de Racine aussi beau qu’intense. À la faveur de la lecture qu’en fait, pour notre temps, Stéphane Braunschweig, la pièce s’inscrit dans le 21ᵉ siècle au sein de ce tremblement sociétal avec lequel se constitue la maternité et son désir.
Dans la même salle, Jean-François Sivadier nous a offert un inoubliable Othello de Shakespeare. La force de l’interprétation de Nicolas Bouchaud en pervers Iago n’a d’égale que celle d’Adama Diop en puissant Othello.
À la Tempête de la Cartoucherie et pour sa deuxième pièce sur la question de la santé mentale après Ysteria, Gérard Watkins, l’auteur et metteur en scène de Scènes de violences conjugales, a signé avec VOIX un nouveau chef-d’œuvre. La pièce s’occupe des voix, de celles qui parlent dans nos têtes et qui trop vite donnent lieu au paresseux diagnostic de schizophrénie.
Côté théâtre privé, on se souviendra de la création de MERTEUIL de Marjorie Frantz, mise en scène par Salomé Villiers. La plume de Marjorie Frantz y invente une suite aux Liaisons dangereuses, précieuse pour mieux comprendre ce qui se trame aujourd’hui dans le cœur des femmes, avec, à la pliure des dilemmes, la question inépuisable de la maternité.
David
Ma découverte coup de cœur de 2023, c’est Addendum I de Sweet Gum Tree, le groupe de l’artiste angevin Arno Sojo. Chacun des titres de cet album est une promenade en dehors des modes musicales et du temps. Ses ambiances pop-folk électriques, comme autant d’hommages au rock indépendant des années 80, sont composées pour devenir la toile sonore idéale d’une nuit d’insomnie. La voix et la poésie en anglais d’Arno, en peintre d’harmonies planantes, vient vernir tout naturellement chacun des onze tableaux rassemblés pour l’occasion. Petit chef-d’œuvre.
Visuel : ©Ingo Hoehn