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Laurent Couson : « l’art sert à créer des ponts et peut-être un vecteur de paix »

par Amélie Blaustein-Niddam
12.03.2024

Laurent Couson est  est aussi bien compositeur qu’arrangeur et pianiste. En véritable touche à tout, il utilise tous les outils qu’il maitrise pour diffuser au plus large la musique classique.

 

Votre Requiem interreligieux et interculturel s’entend et s’écoute régulièrement depuis quatre ans. Racontez-nous les lieux où il a le mieux retenti pour vous.

 

Requiem XIX est un projet atypique qui a été une expérience extraordinaire. 

Pour la première fois, un requiem est écrit dans les trois langues des trois religions monothéistes : hébreu, latin et arabe. En signe de fraternité et de paix, nous avons joué cette œuvre aussi bien dans les églises, synagogues que les lieux laïcs (opéras). 

Chaque fois, des représentants des trois religions étaient présents dans une communion que je crois seule l’art peut apporter. C’est tout le symbole de cette œuvre, hélas que trop d’actualité encore aujourd’hui, le rapprochement des peuples et des cultures au travers de textes religieux qui au départ n’avaient qu’une vocation, la paix et l’amour de son prochain. J’ai encore l’espoir de croire que l’art sert à créer ces ponts et peut-être un vecteur de paix. 

On associe souvent la musique classique au passé. Que signifie écrire de la musique classique au présent ? 

 

Cela signifie perpétuer un outil intemporel, celui de l’orchestre, des instruments acoustiques, de la vérité du son et de celle d’interprètes qui ont fait un apprentissage exceptionnel pour continuer à nous faire vibrer. 

Jamais le virtuel, l’IA et l’informatique ne remplaceront l’émotion du réel procuré par des instrumentistes ou des créations humaines. 

Cela veut dire aussi être un « homme embarqué dans la galère de son temps », comme disait Camus, c’est-à-dire un artiste engagé, à l’écoute du monde qui l’entoure et qui donne, avec ces outils ancestraux, sa réponse à l’époque, en continuer à créer un patrimoine intemporel. 

 

Vous avez toujours aimé décloisonner les mondes. Vous avez notamment beaucoup accompagné le cinéma. Pouvez-vous nous parler de ce que composer pour une histoire veut dire ?

 

J’aime les rencontres, la fusion, le mélange. C’est la clé pour créer de « nouvelles musiques ». 

Dans Requiem XIX, c’était celle des religions, dans Electro Symphonic Project, celle de la rencontre entre la musique électro et la musique symphonique, et là, je reviens de Bali où l’on a créé une nouvelle musique en associant un gamelan (orchestre traditionnel indonésien) avec un piano, on ne peut pas imaginer plus antinomique, pourtant il est né une alchimie et une écoute qui a créé un moment rare. 

Aller vers l’autre, surtout s’il est différent, nécessite un effort, un respect, et cela est toujours ce qui nous fait grandir. Je ne cherche que ça dans mon écriture, la rencontre, la curiosité, la nouveauté, ce qui ne me ressemble pas. 

La musique pour le cinéma, c’est un exercice à part, il faut décrypter les souhaits d’un metteur en scène et le suivre. Après 8 films avec Claude Lelouch par exemple, j’ai appris à connaître ses gouts, ce qui fonctionne avec son cinéma, sa façon de filmer et de raconter les histoires. 

Il faut continuer à y pratiquer son langage personnel, y faire la meilleure musique possible, mais en se mettant au service de la narration de l’image, on ne fait pas un concert, mais une musique de film.

 

 Depuis quelques mois, vous animez une merveilleuse émission sur RCJ, La musique de ma vie. Là encore, vous décloisonnez. Quel est le principe et quels/quelles sont les invité.e.s qui vous ont le plus étonné ?

 

Oui, cela fait des années que j’ai envie de partager la musique classique autrement, notamment pour dire aux jeunes générations « c’est pour vous ». 

Les gens ont souvent peur d’entrer dans un opéra ou une salle de musique classique, quand personne ne les a initiés, ni emmenés. 

L’idée de l’émission « Les musiques de ma vie » sur RCJ est qu’une personnalité qu’ils connaissent à travers d’autres biais (écrivain, actrice, acteur, politique) explique pourquoi l’écoute de la musique classique a changé leur vie. Je leur demande de choisir trois morceaux qui correspondent à des moments forts de leur vie, le résultat est étonnant ! Presque à chaque fois, il y a un retour à l’enfance et un rapport à l’amour. 

Je suis surpris aussi de voir que de grandes personnalités sont heureuses de rencontrer et dialoguer avec un chef d’orchestre, ce qu’ils n’ont parfois jamais eu l’occasion de faire. L’échange se crée ainsi et je crois qu’au final, l’auditeur a envie d’aller plus loin et d’écouter ces œuvres, qu’on lui a présenté autrement. 

 

Aujourd’hui, au-delà de vos partitions, vous aimez prendre la parole de façon plus politique. Comment l’artiste que vous êtes regarde la société ?

 

Artiste engagé, comme je le disais plus haut, l’époque est en train de se transformer, pour le meilleur et pour le pire. Le pire est si l’art devient seulement une marchandise, et que la création est soumise à des contraintes économiques qui empêchent la nouveauté. Je souhaite que la machine soutienne des travaux pénibles, aide à la création, à la musique nouvelle, mais pas qu’elle créé elle-même ! Si elle peut créer des œuvres d’art, alors un jour, elle créera des humains, et ce sera la fin de l’humanité, en tout cas de tout ce qui nous constitue créatures sensibles, doté de jugement, de folie ou d’outrance et surtout de la plus belle chose : la faille ! 

 

Pour finir, une question Cult : quelle est votre œuvre culte  ?

 

C’est toujours la question piège. L’œuvre qu’on emmène sur une ile déserte… Impossible de choisir évidemment, tant le patrimoine culturel, dans sa diversité, nous constitue et nous transforme.  Mais allez, si je dois choisir un opéra par exemple, ce serait « l’enfant et les sortilèges » de Ravel. Ravel a cette qualité, qui font, je crois, les poètes parmi les artistes, il a gardé toute sa vie son âme d’enfant, et sans doute pour cela que sa musique nous va autant droit au cœur. 

 

Visuel :© Bernard Rosenberg