Après le Théâtre Jean Lurçat – Scène nationale d’Aubusson et les Zébrures d’automne à Limoges, La Grande Ourse débarque à la MC 93, pour le plus grand plaisir du public balbynien.
Un papier de bonbon abandonné par terre : tel est le point de départ de ce texte de Penda Diouf. C’est que ce papier doré, conçu pour éblouir l’œil des enfants, a cette fois-ci attiré le regard de la police et des caméras qui lui servent d’auxiliaires.
Le papier en question, désormais promu « pièce à conviction » par les enquêteurs, fut abandonné par la Mère, une jeune femme qui, pressée d’organiser une soirée crêpes avec son fils, a malencontreusement oublié l’enveloppe qui recouvrait le bonbon. Une étourderie qui, certes, participe de l’amoncellement des détritus dans les espaces urbains, mais qui paraît un péché bien véniel. Pourtant, le cas de la Mère fait jurisprudence et l’abandon de papier de bonbon devient un véritable délit. Le verdict tombe : l’humiliation.
Dès lors, la foule, contre la coupable, se déchaîne. Les langues se lient et se délient, colportant chaque fait et geste, réel ou imaginaire, de la Mère et de son époux, que l’on suppose manquer de virilité. Pensez-vous ! Le seul travail qu’il ait trouvé est de se déguiser en poulet dans un supermarché !
Puisque de transformation animale il est question, la Mère aussi aura droit à sa métamorphose. Mais l’animal qu’elle se choisit, pour traverser cette épreuve et extérioriser sa rage devant une aussi injuste justice, est l’ourse, cette bête qui effraie autant qu’elle rassure, sous sa forme de peluche, les plus petit·es. À la manière d’un loup-garou, la voilà qui change. Elle est forte, celle que les autres voulaient faible. Peut-être est-ce, finalement, cela qui gêne.
La mise en scène d’Anthony Thibault resserre légèrement le texte de Penda Diouf. Ainsi, les accessoires mentionnés dans les didascalies disparaissent. Les « mauvaises langues » du texte de Penda Diouf sont figurées par la seule comédienne Maïka Louakairim, qui, assise sur une chaise de camping, scrute les moindres actions de la Mère et des siens. Elle relaie les racontars, mais aussi les stéréotypes habituels sur les populations minorisées. Avec fougue, malice et conviction, elle devient un avatar moderne du chœur antique, dans lequel le public aura, peut-être, l’honnêteté de se reconnaitre.
Ce personnage suspendu entre espace interne et externe à la fable est secondé par celui du « griot », qui commente l’histoire en même temps qu’il y annonce le malheur. Joué dans la mise en scène d’Anthony Thibault par Marcel Mankita, vêtu d’un beau complet blanc et faisant danser sa canne pour désigner des personnages imaginaires, il sait capter l’attention du public autant que le faire réfléchir au monde contemporain par quelques allusions, çà et là, à l’actualité.
Mais la grande trouvaille est de figurer la transformation de la Mère en Grande Ourse de façon symbolique. Sur le plateau de la Nouvelle Salle de la MC 93, point de lourde fourrure. Le retour de la nature figuré par cette métamorphose apparaît par un sol à coulisses, qui dévoile sous les apparents carreaux d’une cuisine des plants de salades et de légumes. La nature est là, semble nous dire cet élément, apparemment fort simple, de la scénographie de Salma Bordes, qui joue avec le topos de la trappe et du double fond.
Quant au cri de l’ourse et au martèlement du cœur de la Mère, ils sont présents grâce à la création sonore, travaillée à vue, de Aho Ssan. Les emprunts au réalisme magique qui affleurent dans le texte font ainsi l’objet d’une mise en abyme qui vise à interroger spectateurs et spectatrices sur leur rapport au spectacle.
Enfin, la réussite de la pièce doit beaucoup au jeu de Prescillia Amany Kouamé et Hovnatan Avedikian, mais aussi et surtout d’Armelle Abibou, que l’on avait pu voir dans 1983 ou Et le cœur fume encore, de Margaux Eskenazi et qui incarne ici cette femme complexe, dont la réaction n’est pas celle que l’on attendait.
La Grande Ourse, texte de Penda Diouf, mise en scène d’Anthony Thibault. À la MC 93 jusqu’au 17 décembre.
Visuel : © Christophe Péan