Les jours où l’instabilité est à son comble sont aussi un moment où, pour la première fois, un ancien président de la République est condamné à de la prison ferme pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel ».
Et en même temps, cette semaine, c’est Robert Badinter – l’homme qui a sans doute le plus incarné le visage de la justice en France – qui entre au Panthéon . Et le jour même où le ministre de l’abolition de la peine de mort, qui a également dépénalisé l’homoxualité, devient « un grand homme » pour l’éternité (à travers des objets symboliques et non son corps), sa tombe est profanée au carré juif du cimétière de Bagneux. Le plus intime (la religion, la dépouille) et le plus politique (la République, l’antisémitisme) se mêlent en ce jour solennel. Cela met en lumière combien la question de la justice résonne avec celle du déplacement de la ligne qui sépare le public du privé.
En culture, évidemment la Justice devant la loi était le grand thème de la saison dernière. Nous vous avons parlé, sur scène, de Hecube pas Hecube de Tiago Rodrigues et de Leviathan de Lorraine de Sagazan. Et cet été à Avignon, en une soirée exceptionnelle, Milau Rau mettait en scène le procès Pelicot dans un geste hallucinant, nous rappelant l’effet qu’il a eu en nos fondements, avec la même horreur introspective qu’ont déclenchée les témoignages des victimes de P. Diddy. De façon plus symbolique, Laurène Marx redonne voix à celles qu’on n’entend pas, comme Rita dont elle brossait le portrait au Festival d’automne.
Au cinéma, les films de « cour » n’ont jamais eu autant la cote depuis La Vérité de Clouzot : Anatomie d’une chute mettait en avant ces liaisons dangereuses entre l’intime et la loi, et L’intérêt d’Adam de Laura Wandel nous interroge sur le lieu où la justice doit couper le lien entre un fils et sa mère pour protéger l’enfant. Dans les séries, nous nous sommes préoccupés de juger la violence des tout jeunes dans Adolescence par exemple ou le viol conjugal dans Querer. Au point où nous nous demandons, à voir la multiplication des festivals dédiés au thème, s’il n’y a pas là le renouvellement d’un genre cinématographique à l’aune de cette question qui nous taraude : la ligne de séparation des sphères publiques et privées n’est-elle désormais qu’une chimère ou s’agit-il des restes d’une volonté libérale qu’il s’agit de préserver ? Les œuvres nous interrogent et, pour une fois, elles vont peut-être moins vite que la réalité d’une société qui change à force d’écouter ceux et peut-être surtout celles qui parlent devant la justice.
Une belle semaine à vous,
Amélie et Yaël
HECUBE PAS HECUBE
Festival d Avignon
Texte et mise en scene Tiago Rodrigues
Traduction Thomas Resendes Scenographie Fernando Ribeiro Costumes Jose Tenente Lumiere Rui Monteiro
Musique et son Pedro Costa Collaboration artistique Sophie Bricaire
Avec les interpretes de la Comedie Francaise : Eric Genovese, Denis Podalydes, Elsa Lepoivre, Loic Corbery, Gael Kamilindi, Elissa Alloula, Sephora Pondi