Du mercredi 20 au dimanche 24 novembre, le Centre Pompidou, à l’aube du grand chantier qu’il engage, laisse libre cours aux imaginaires d’artistes pluridisciplinaires. Pour cette 3ème édition, le « Forum biodiversité » de fin d’année, c’est la biodiversité et les menaces qui planent sur elle. Performances, rendez-vous citoyens, concerts, DJ set et conférences se mêlent. Avec une liste d’invités à faire pâlir n’importe quel festival et pour n’en citer que quelques-un.e.s, Bjork, Aleph, Cyril Dion ou encore Marielle Macé et Salomé Saqué… Tout un programme riche et immersif, des propositions artistiques concernantes, qui placent l’impératif écologique, la présence et la préservation du vivant et sous toutes ses formes, au cœur de la culture. Rencontre avec Eva Daviaud et Mathieu Potte-Bonneville qui ont initié cet événement.
Par Amélie Blaustein Niddam et Theo Guigui-Servouze
Je m’appelle Mathieu Potte-Bonneville, je suis directeur du département culture et création du Centre Pompidou depuis 2019 maintenant. Le département culture et création est en charge de la programmation vivante de cet établissement. Par ailleurs, je suis philosophe de formation, maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Et voilà !
Je suis Eva Daviaud, chargée de prospective et d’innovation sociale au sein du département culture et création. Je travaille à la fois une programmation abordant des sujets de société et la transformation de l’établissement sur les enjeux de responsabilité sociétale.
MPB : Il y a une d’abord une tradition. Le forum est le nom de l’un des espaces du centre. Le forum c’est l’espace central, que l’on nomme « Forum 0 », « Forum -1 » – que les architectes Piano et Rogers ont vraiment pensé comme un vis-à-vis de avec la Piazza, « forum zéro – forum moins 1 », un prolongement direct de cet espace public extérieur par un espace public intérieur. Cette spécificité architecturale donne au Centre Pompidou une vocation d’accueil, une fonction presque politique, en tout cas civique en tant que lieu de rassemblement de différentes modalités d’expression. De là sont nés des forums de société, qui sont intervenus, assez régulièrement, dans la programmation du Centre Pompidou au fil de l’histoire.
MPB : En effet, il faudrait faire une « histoire des forums de société depuis 1977 ». Récemment encore Jean-Max Colard au service de la parole à programmé de « grands forums de société », après l’incendie de Notre-Dame par exemple ou après la première élection de Donald Trump… Enfin, il y a trois ans, l’idée de ces forums s’est doucement imposée, chaque fin d’année : proposer un moment de rencontre et de convergence, des disciplines et de la parole citoyenne, autour des enjeux artistiques et sociaux.
MPB : Le premier s’appelait « Climat, quelle culture pour quel futur ? », le deuxième « Ouvrir la marche », pour les 40 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme.
ED : Mon regard est biaisé car ma veille est orientée vers cette thématique. Ce que je peux dire, c’est lorsque l’on cherche, on trouve de nombreuses propositions intéressantes. Il y a différentes façons de porter des sujets et cela a fait émerger des réflexions dans l’équipe de programmation sur ce qu’est un artiste engagé. Est-ce que c’est un artiste qui est très engagé dans sa vie personnelle mais qui n’aborde pas ces sujets dans son travail ? Est-ce que c’est un artiste qui aborde ces sujets et dont la voix porte, mais dont le mode de vie peut parfois s’écarter de la radicalité écologique ? Est-ce que ce sont des projets qui font sens d’un point de vue esthétique et vous embarquent dans une histoire mais qui, d’un point de vue scientifique ne tiennent pas une seule seconde la route ? Où placer le curseur ?
MPB : Je crois que la programmation du forum, reflète assez bien cette diversité d’approches. Les sujets peuvent faire objet d’une appropriation par des médiums qui sont très différents les uns des autres et dans la programmation en particulier de la journée de samedi, nous aurons des artistes qui pratiquent la performance, le cinéma, les arts visuels, le design… donc qui font jouer l’ensemble de la palette. Nos choix se sont portés vers des artistes qui tiennent la balance entre une attention aux modalités de leur propre pratique et le message qu’ils et elles souhaitent délivrer, et qui tracent des transversales intéressantes. Par exemple Momoko Seto, qui est à la fois chercheuse et cinéaste, Fabrice Hyber, qui est plasticien et qui interroge le territoire, la pratique agricole sous ses divers aspects.
ED : Il y aura 40 invités dans la programmation ouverte au grand public, auxquels nous pouvons ajouter les 10 intervenants du colloque professionnel sur les imaginaires organisé par l’Office français de la biodiversité, 80 étudiants en master d’ingénierie culturelle à Paris Dauphine, au Cnam, à Sciences Po Lille et Sciences Po Paris venus réfléchir à l’avenir du secteur culturel prenant en compte leur impact sur la biodiversité, ou encore 40 responsables de la responsabilité sociétale d’institutions culturelles qui travailleront ensemble, de façon très concrète, sur l’intégration des considérations de développement durable dans la transformation des métiers de la culture.
MBP : Une préoccupation importante de l’Office français de la biodiversité, notre partenaire, était de considérer que « le » public, ça n’existe pas, il y a « des » publics, « des » expertises et pleins de manières d’être concerné par le sujet. D’où la pluralité des experts, des artistes sollicités et des formats.
MBP : Oui, le fameux « fil conducteur », l’installation imaginée par Björk et Aleph. Björk est une artiste qui est préoccupée depuis très longtemps et de manière très insistante par la question écologique. Sans doute parce qu’elle est attachée à un territoire, l’Islande, particulièrement révélateur des enjeux de transformation écologique.
MBP : Björk, comme vous le savez travaille sur l’hybridation : dans ses propres tenues de scène, ses masques. Tout son travail récent tourne autour de l’hybridation avec le vivant, d’où cette idée d’hybridation entre sa voix et celle d’espèces disparues ou en voie de disparition. La figure de Björk s’impose avec une œuvre sonore, pour rappeler la menace qui pèse sur le vivant, une sorte d’alerte, retentissant à intervalle régulier, dans le Centre Pompidou.
ED : Oui, je pense à une personne qui est venue me voir suite au « Forum Climat », pour me dire qu’elle avait changé de métier et qui s’était engagée auprès d’Extinction Rébellions. …Oui, c’est radical ! (Approbation générale et rires) Nous ne faisons que semer des graines avec ces forums, sans savoir comment elles vont évoluer. La question de la « mesure d’impact » de nos actions sur la sensibilisation des publics fait partie des sujets que nous abordons régulièrement avec mes homologues référents développement durable d’établissements. Nous pressentons que le secteur culturel a un rôle à jouer dans la prise de conscience collective, mais il est difficile de le quantifier.
MBP : On a choisi d’inscrire le mot de « culture », à l’intérieur du titre du forum en 2022, et de nouveau en 2024, parce qu’on considère que ça participe d’un travail de culture. La culture, c’est évidemment, d’un côté : les œuvres de la création, au sens institutionnel du terme, l’art et la création. Mais, c’est aussi la culture commune, les représentations les manières de voir les manières de faire. Questionner ce qui peut amener des gens à changer leurs pratiques ou pas, ça peut créer des bifurcations d’ambition, d’idée, dans des parcours de vie.
C’était donc ça, l’une des ambitions de ce projet en 2022, donner à voir des alternatives inspirantes face à l’urgence écologique, ou je me trompe ?
MBP : Oui absolument. En 2022, par exemple, pour le Forum Climat : quelle culture pour quel futur ? nous avions réuni des étudiants « bifurqueurs » et nous leur avions proposé de prendre la parole, et d’imaginer une sorte de performance qui disait en somme : « Ce geste-là, de bifurquer, de changer de voie, au fond, il est culturel. Il concerne la culture parce qu’il fait bouger les lignes, y compris de l’art et de la création. »
MBP : (rires) Alors, nous ne fermons pas, nous nous métamorphosons !
ED : On va s’ouvrir sur le monde, au contraire, pendant cette période de rénovations. Nous avons mis en place un plan d’action environnement, depuis 4 ans déjà. C’est une très grande fierté car nous avons tout réalisé en interne, en mobilisant les expertises et les métiers d’une centaine de contributeurs. J’ai pu constater au fil des années la progression dans la sensibilisation des équipes, mais aussi la richesse et la pertinence des solutions proposées pour améliorer notre impact environnemental.
ED : La question des espaces de stockage était un impensé jusque-là. Nos bâtiments avaient été conçus pour offrir un maximum d’espaces pour accueillir le public. Or les espaces de stockage sont indispensables pour faire de l’éco-conception à travers le réemploi d’éléments de scénographie et de matériaux, ce qui au passage peut permettre de réaliser économies budgétaires – l’engagement écologique n’est pas toujours synonyme de surcoûts. Les équipes de production ont pris conscience de cela, et ont intégré cette exigence dans le cahier des charges des travaux, afin d’anticiper les conditions d’exercice de nos métiers en 2030 et au-delà. Initier un événement comme le « Forum Biodiversité », c’est aussi l’occasion de se questionner et d’améliorer nos pratiques à chaque étape de la conception de l’événement, de la programmation à la production en passant par la communication.
MBP : C’est une bonne question. Il n’y a pas aujourd’hui de lieux, d’institutions, qui soient en adéquation totale avec les exigences de l’époque en termes d’écologie et d’environnement.
MBP : On vit dans un monde fracturé. On se débat tous et toutes à différentes échelles avec des contradictions. En ce sens, il n’y a rien de plus facile que de mettre une institution en contradiction avec elle-même et de pointer ce qui ne va pas. Notre conviction est que, c’est le point de départ d’une réflexion et d’une analyse et qu’à partir de là il faut bouger, il faut faire évoluer.
MBP : (rires) oui je sais bien. Le Centre Pompidou est un bâtiment qui a été conçu dans les années 70, avant le 1er choc pétrolier. Il est aujourd’hui une passoire thermique. S’il faut fermer, c’est pour régler ses problèmes d’isolation, pour changer le système de climatisation, pour protéger les œuvres sans ne plus dépenser une énergie démentielle. Une grande institution, se doit d’opérer cette métamorphose et s’aligner avec les impératifs écologiques, de préservation de la biodiversité, de l’époque.