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21.01.2025 → 24.01.2025

Perdre son sac : Lola Giouse porte la rage d’une génération

par Angélina Zarader
22.01.2025

La rage de la jeune génération l’a emportée dans la salle NT11 de l’espace CENTQUATRE ce mardi 21 janvier 2025. Dans un monologue incandescent, porté par la mise en scène immersive de Denis Maillefer, Lola Giouse donne chair et souffle au texte de Pascal Rambert. Entre colère sociale et dépit amoureux, une jeune laveuse de vitres se confronte au monde dans un flot de paroles ininterrompu, où se mêlent révolte, douleur et quête de sens. Le public, emporté dans son élan, lui sert de témoin et d’exutoire, comme un groupe de parole.

« Je suis une punaise sur le rosier de l’existence » 

 

Vêtue de son gilet sans manche jaune, de son sweat à capuche gris et vert, de son jean troué et de ses baskets montantes, la jeune femme s’empare de l’espace comme elle aimerait s’emparer du monde, avec rage. Avec elle, un seau et un balai pour nettoyer les vitres. Pourtant, elle nous assure, comme pour se convaincre, qu’elle n’est « pas pauvre », qu’elle a « un bac + 5 ». On ne peut pas avoir un bac + 5 et être pauvre, non, impossible. Et pourtant ? 

 

 

« Je suis une guenon sociale qui montre sa langue au public »

 

Chaque couche de la société est décortiquée, critiquée, crachée par le langage puissant de cette jeune femme. Le langage lui-même n’est pas épargné. Elle nous invite à réfléchir au sens des mots, du mot « onglerie » qui pour elle est une insulte au langage, à la langue latine de nos ancêtres. Réduire une femme à son apparence, aux ongles qu’elle porte, à la couleur de ses cheveux, au mascara. Elle résume la vie de nombres de jeunes femmes : se faire payer des verres en boîte, se saouler et coucher dans une Clio. 

 

 

« Ce monde ne peut plus durer, nous ne pouvons nous satisfaire de marcher à vos côtés avec des séparateurs »

 

Évidement, notre système de richesse est critiqué, au même titre que notre manière individuelle de vivre, de marcher, toujours pressé : « Celui qui marque l’arrêt dans les espaces publiques tombera et périra sur place. » Les alignements de noms de boutiques la font vomir, tout comme les rues piétonnes, où même les bancs sont condamnés pour les sans-abris, le sommeil leur est interdit. La jeune femme dit son incompréhension face à un monde qui se divise entre celles et ceux qui réussissent et les autres, ces autres qui hurlent la nuit et qu’il faut écouter. 

 

 

« C’est la jungle la vie »

 

La jeune femme remonte au désespoir des profs qui poussent les jeunes dans « vie active » parce qu’ils ne sont pas capables, pas scolaires, qu’ils ne font que regarder pas la fenêtre. Sandrine, son amoureuse, est le témoin de l’échec du milieu scolaire et de la conseillère d’orientation, qui résout vos problèmes à coup de « elle sera manager coloration ». Le spectateur partage cette ironie, cette colère, cette absurdité du système.

 

 

« Je me mets à genoux comme un pot, j’ouvre ma bouche et dedans tu verses ton indifférence » 

 

Pour autant, Sandrine n’est pas une blanche colombe. Au nom de l’amour, elle la pousse à se rendre esclave des autres, à nettoyer des vitres puis à se vendre, à vendre son corps, sa dignité, comme s’il elle n’avait plus d’âme. Au nom de l’amour, elle supporte tout, d’abord les coups puis l’indifférence. Cette indifférence, plus que tout, la déshumanise : « Tu penses que je suis un pot ». Elle regrette le manque de jalousie, le manque d’intérêt, le manque de passion, et la passivité, les journées à se gaver de Netflix. Sandrine choisit l’abrutissement au contact, l’abrutissement au déterminisme social. Elle restera « une fille qui s’endort devant Netflix avec un t-shirt de Mickey ». Sandrine est « rangée » et se range d’elle-même « dans des endroit où la langue est explosée, dans la laideur ». Les gens comme Sandrine, construisent leur vie comme « le cochon son trou dans ses excréments ». 

 

 

« Je veux me mettre dans la couverture verte de ma grand-mère » 

 

Les parents ne sont pas épargnés, le père surtout. Cette jeune femme, ancrée dans une génération pleine de désarroi, dit être née d’un esclave, et que cet esprit d’esclavage les a engendrés, nous a engendré. Sur l’échelle de la société, nous sommes en dessous des esclaves. 

L’amour a sauté une génération, dit-elle. Seule sa grand-mère lui permettait de s’évader et de s’ancrer dans la joie. C’est d’ailleurs auprès d’elle qu’elle retrouve la paix, le calme, se rappelant sa barrette russe, des anecdotes vécues à New York, des claquettes qu’elle lui avait conseillé d’apprendre… La jeune femme, pour Sandrine, joue des claquettes, fait valser les préjugés et danse, pour faire vivre encore un peu son âme d’enfant. Puis, le cri, le cri si fort, de rage, d’angoisse, de sueur. « Je sens bien que je n’y arrive pas », tels sont ses mots. 

 

 

« J’avais la bouche ouverte pour recevoir la vie, j’ai reçu des gifles et des phrases dégoutantes, des phrases mal construites, si mal faites, explosées, sans sens, détruites par la distraction devant la laideur. » Ces mots résonnent comme un écho à une rage partagée : ne manquez pas ce cri viscéral qui dit l’amour, la solitude et l’injustice avec une rare intensité.

Visuel : © Magali Dougados