Jusqu’au 21 septembre, la Biennale de la danse de Lyon ouvre un espace inédit, le Forum, à la Cité Internationale de la Gastronomie. Ce laboratoire vivant où chorégraphes, artistes et curateur·rice·s internationaux·ales explorent des territoires artistiques, géopolitiques et sensoriels multiples. Une expérience qui, une fois vécue, change pour toujours votre perception de la danse et du monde.
Ici, vous ne trouverez pas de spectacle. Le programme inclut performances, expériences participatives, conférences et tables rondes. Chaque proposition est pensée pour créer des écologies relationnelles et une immersion sensorielle et réflexive, qui dépasse la simple représentation.
Imaginez un espace en accès libre, gratuit, où ateliers et conférences se déroulent simultanément. Ça grouille de toutes parts, et de façon presque magique : tout le monde se parle, tout est calme, le public participe avec envie, et on peut même l’écrire, une certaine forme de discipline.
Le Forum n’est pas le fruit d’une seule volonté. « L’idée n’est pas la mienne, c’est celle de Tiago Guedes », explique Angela Conquet, coordinatrice et curatrice australienne du projet. « Tiago voulait ouvrir la Biennale à une autre approche de l’internationalisme. Dès son arrivée, il nous a invités, Nayse Lopez et moi, à co-imaginer ce Forum, puis nous avons élargi le cercle à trois autres curateur·rice·s : River Lin, Angela Mattox et Quito Tembe. »
Pour Angela Conquet, la démarche est autant curatoriale que sensorielle : « Une invitation est toujours un acte d’hospitalité. Nous avons choisi des compagnies qui représentent quelque chose de spécifique à leur territoire, mais dont la pensée chorégraphique peut aussi nourrir des perspectives plus globales. »
Le Forum repose sur un dispositif curatorial collaboratif associant cinq curateur·rice·s internationaux·ales et cinq artistes ou collectifs extra-européens. Les Australiens, avec Angela Conquet et Marrugeku, explorent l’écologie et l’engagement territorial, tandis que les Brésilien·ne·s, avec Nayse Lopez et Original Bomber Crew, travaillent autour des corps noirs et des marges. Au Mozambique, Quito Tembe et Idio Chichava questionnent mémoire, identité et territoire. À Taïwan, River Lin et Fangas Nayaw puisent dans les traditions ancestrales et les pratiques somatiques. Enfin, aux États-Unis, Angela Mattox et devynn emory réfléchissent au soin, également à la somatique et aux questions corporelles.
« La Biennale doit offrir un cadre pour d’autres projets artistiques », souligne Tiago Guedes. « Chaque artiste et curateur·rice apporte des perspectives différentes sur le temps, l’institution, l’argent et la relation au corps. »
Alors, nous nous y sommes engagés, bien conscient·e·s que pour comprendre, il faut faire, et qu’en faisant, nous comprendrons. Le 17, l’ouverture a donné le ton : tous les artistes se sont présenté·e·s dans un flux continu, dans une sorte de cosmogonie. À la fin de la séance, nous sommes remplis, quasiment fatigué·e·s par la montagne d’énergies qui nous ont traversé·e·s. Le lendemain, nous avons rencontré les artistes un par un, en participant à leurs ateliers.
L’expérience est inouïe. Elle décadre complètement et déconstruit nos notions de représentation.
En faisant, en respirant, personnellement et collectivement, guidé·e·s par l’artiste et infirmière Native American devynn emory, qui nous transmet sa connaissance issue de traditions autochtones nord-américaines, nous avons reconnecté notre tête à notre cœur. En tapant le sol avec le chorégraphe et danseur mozambicain Idio Chichava, nous avons compris la notion de regard interculturel appliqué au geste. Par exemple, taper le sol avec ses pieds. Ce geste si simple devient une connexion avec nos ancêtres et plus seulement une façon de marquer le rythme. Il en va de même quand on se lance dans une ronde tellurique avec l’artiste et chorégraphe issu du peuple Amis, Fangas Nayaw. Plus tard, nous rencontrons la compagnie “australienne” Marrugeku. Nous posons des guillemets, car nommer est difficile, Johanne Leigthon, chorégraphe australienne également, nous apprend qu’en anglais, c’est plus simple de ne pas se tromper, en utilisant le vocable “First nation people”. Le plus simple est sans doute d’être le plus précis possible. Au moment de l’atelier, nous rencontrons Dalisa, interprète-chorégraphe d’origine Yawuru/Bardi qui puise dans son héritage culturel mixte aborigène/asiatique, et Rachael en tant que metteuse en scène et dramaturge anglo-immigrée. Elles ont pris le temps, en cercle, de connaître chaque personne avant de la mettre en mouvement, pour que la danse se place dans un continuum entre terre, air, feu et eau, décolonial et abolissant toute frontière.
La danse quitte alors son statut de spectacle pour devenir un espace d’élévation intellectuelle pour le public et une reconnexion avec soi-même, permettant ensuite de retrouver du lien avec les autres. Cela a une conséquence éminemment politique.
Après chaque atelier, les participant·e·s se sont parlé·e·s et ont pu penser plus rapidement des projets ensemble ou simplement discuter de sujets sensibles calmement.
Angela Conquet insiste : « C’est une bulle d’air frais. Le Forum permet aux professionnel·le·s comme au public de co-inventer une relation à l’artiste qui ne se limite pas au spectacle. Respirons ensemble, comme le disait un collectif brésilien en clôture de leur performance. »
Le Forum illustre une capacité d’adaptation rare pour une grande institution. « Les technicien·ne·s ont accepté de transformer la scène au dernier moment selon les besoins des artistes », raconte Angela Conquet. « Un quart d’heure avant, je ne savais pas ce que nous allions voir. Et pourtant, tout a trouvé son sens. »
Cette flexibilité reflète la philosophie de Tiago Guedes : créer une Biennale poreuse, capable d’accueillir des propositions audacieuses sans les récupérer, et de laisser place à l’expérimentation.
Pour faire redescendre l’intensité, Leisa Shelton (Australie) a eu l’idée géniale de nous inviter à une courte performance salutaire, SCRIBE. Nous entrons dans un petit bureau où nous attendait Maxence Rey. Elle avait devant elle une petite boîte en bois à minuscules tiroirs, dont elle extrait une carte, une feuille, un stylo et des tampons. Elle pose une seule question : « Que pensez-vous du Forum ? » Elle ne note pas tout, et nous ne savons pas ce qu’elle écrit. Telle une psychanalyste, elle nous invite à un rituel d’écoute où « juste » le fait de parler nous libère de nos angoisses.
Ce Forum, édition pilote, est gratuit et ouvert à tou·te·s. Il promet de devenir un espace pérenne pour penser la danse à travers le monde, en mettant en lumière des pratiques enracinées dans leurs territoires tout en dialoguant avec une audience internationale. Une respiration nouvelle pour la Biennale, une fenêtre sur la pluralité des imaginaires chorégraphiques contemporains.
English Summary
From September 17 to 21, the Forum of Dance at the Lyon Biennale creates an unprecedented space for international exchange. Conceived as a living laboratory rather than a traditional performance, the Forum brings together five curators and five extra-European artists to explore themes ranging from ecology and somatics to social justice and identity.
Under the coordination of Angela Conquet, the Forum emphasizes hospitality, sensory immersion, and territorial specificity. The artists include Australian choreographers focusing on ecology, Brazilian collectives exploring Black bodies and marginality, Mozambican artists reflecting on memory and identity, Taiwanese practitioners drawing on ancestral and somatic traditions, and American artists investigating care and somatic approaches. This pilot edition represents a bold step in creating a flexible, globally engaged Biennale
Le Forum se tient en accès libre jusqu’au 21 au CIG, le centre névralgique de la Biennale.
Le programme heure par heure est clairement détaillé ici.
La Biennale de la danse de Lyon se tient jusqu’au 28 septembre, à Lyon.
Visuels : ©DR