Le 28 février 2025, Catherine Deneuve présidera la 50e cérémonie des César à l’Olympia. Un choix symbolique pour une actrice qui incarne à la fois l’âge d’or du cinéma français et une certaine vision du monde du spectacle, parfois en décalage avec les évolutions sociétales contemporaines. Son retour interroge : est-elle encore une figure rassembleuse, ou au contraire, le témoin d’un ancien monde en perte de vitesse ?
Catherine Deneuve, née en 1943, est une figure incontournable du cinéma. Sa carrière prolifique, débutée à l’âge de 13 ans, est jalonnée de collaborations avec des réalisateurs de renom tels que Jacques Demy, Luis Buñuel ou François Truffaut. Son élégance et son talent lui ont valu une reconnaissance internationale, faisant d’elle l’une des ambassadrices les plus respectées du cinéma français.
Catherine Deneuve n’est pas seulement une icône du cinéma, elle est aussi une figure engagée. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, elle a multiplié les prises de position en faveur du peuple ukrainien. En 2023, elle a ouvert le Festival de Cannes en récitant un poème de la poétesse ukrainienne Lesya Ukrainka et a été décorée par le président Volodymyr Zelensky de l’Ordre de la princesse Olga pour son soutien indéfectible à la souveraineté de l’Ukraine. Récemment, elle a vivement critiqué les déclarations de Donald Trump qualifiant Zelensky de « dictateur ». Invitée sur le plateau de Quotidien, elle a dénoncé les propos du président américain, jugeant « malhonnête » de qualifier ainsi le dirigeant ukrainien. « Et lui, il s’appelle comment alors ? », a-t-elle rétorqué avec ironie.
Outre son engagement diplomatique, Deneuve continue d’être une figure influente dans le domaine culturel. Elle défend activement le patrimoine cinématographique français et soutient la nouvelle génération de réalisateurs, notamment à travers sa participation à des festivals et son rôle d’ambassadrice de la Cinémathèque française. Elle incarne également l’élégance à la française, collaborant régulièrement avec les grandes maisons de couture qui la considèrent comme une véritable muse. Parmi elles, Yves Saint Laurent, avec qui elle a entretenu une relation artistique unique. Le couturier, qui l’habillait aussi bien à la ville qu’au cinéma (Belle de jour, La Sirène du Mississipi), a contribué à façonner l’image sophistiquée et intemporelle de l’actrice. Aujourd’hui encore, Deneuve demeure l’une des plus grandes ambassadrices de l’héritage d’YSL
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Si Deneuve est une femme engagée, son rapport au féminisme est plus contrasté. En 2018, elle avait co-signé une tribune controversée dans Le Monde défendant la « liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle » et dénonçant certains excès du mouvement #MeToo afin de critiquer ce que les signataires percevaient comme une « campagne de délations » à la suite de l’affaire Weinstein, accusé d’agression sexuelle sur plus de 90 femmes et de viols sur une vingtaine de femmes. Les signataires condamnaient évidement le viol, mais soulignaient que « la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste (…) ». Cette prise de position lui avait valu de nombreuses critiques, certains lui reprochant une complaisance envers des comportements problématiques dans l’industrie du cinéma.
Dans une lettre publiée par Libération en réponse aux critiques, Deneuve avait tenu à préciser sa position. Elle affirmait ne pas cautionner le harcèlement et expliquait qu’elle avait signé cette tribune par attachement à la liberté d’expression et par crainte d’un climat de censure dans les arts. Elle dénonçait les « effets de meute » sur les réseaux sociaux et la tendance à condamner publiquement des hommes sans procès, insistant sur la nécessité de respecter la présomption d’innocence. Toutefois, elle prenait ses distances avec certaines déclarations polémiques de co-signataires, qui avaient, selon elle, détourné le propos initial de la tribune : « Dire sur une chaîne de télé qu’on peut jouir lors d’un viol est pire qu’un crachat au visage de toutes celles qui ont subi ce crime. » Elle concluait en présentant ses excuses aux victimes d’actes de violence sexuelle qui auraient pu se sentir blessées par la tribune et rappelait son engagement de longue date pour les droits des femmes, notamment son soutien au manifeste des 343 en faveur de la légalisation de l’avortement en 1971 :
On m’a parfois reproché de ne pas être féministe. Dois-je rappeler que j’étais une des 343 salopes avec Marguerite Duras et Françoise Sagan qui a signé le manifeste « Je me suis fait avorter » écrit par Simone de Beauvoir ? L’avortement était passible de poursuite pénale et emprisonnement à l’époque. C’est pourquoi je voudrais dire aux conservateurs, racistes et traditionalistes de tout poil qui ont trouvé stratégique de m’apporter leur soutien que je ne suis pas dupe. Ils n’auront ni ma gratitude ni mon amitié, bien au contraire. Je suis une femme libre et je le demeurerai. Je salue fraternellement toutes les victimes d’actes odieux qui ont pu se sentir agressées par cette tribune parue dans le Monde, c’est à elles et à elles seules que je présente mes excuses.
Si Catherine Deneuve se revendique féministe de longue date, que penser de son soutient envers Gérard Depardieu ? Interrogée en 2023 sur cette affaire, elle avait exprimé son malaise face à la médiatisation des accusations portées contre son ami et ancien partenaire de jeu : « Que des noms soient tout de suite associés au mot ‘viol’ dans la presse, je trouve ça choquant – que ce soit Gérard Depardieu ou un autre », déclarait-elle alors, tout en affirmant son soutien aux victimes : « Je ne suis pas en train de minimiser ou nier que ça existe, évidemment que je soutiens absolument toutes les victimes, se défend Catherine Deneuve. Mais je note qu’avant, il y avait une certaine rigueur avec ce genre d’informations, alors que maintenant, elles tombent en flot continu dans les téléphones ».
Mais le problème réside t-il réellement dans la rigueur ? Auparavant, les femmes ne s’exprimaient pas, réduites au silence. Ainsi, comment peut-on défendre, même à demi-mot, un homme dont les propos sont si équivoques en parlant d’une enfant de 10 ans : « Les femmes adorent faire du cheval (…) si jamais il galope elle jouit (…) c’est bien ma fifille continue » (reportage diffusé en 2023 par Complément d’enquête et réalisé en 2018, « Gérard Depardieu : La chute de l’ogre » ).
Gérard Depardieu est par ailleurs accusé de viol par Charlotte Arnould, qui le connaît depuis l’enfance et avait donc placé en lui une confiance de l’ordre de celle d’une petite fille envers son grand-père. En 2018, la jeune fille le croise dans la rue, par hasard. Il l’invite alors chez elle pour qu’elle lui raconte ce qu’elle est devenue. À l’époque, Charlotte Arnould est anorexique, ne pèse que 37 kilos et est donc très faible, physiquement et psychologiquement. Elle raconte que tout bascule en l’espace de 15 minutes, c’était d’une « violence inouïe » explique-t-elle. En sortant de chez l’« ogre », elle « dénonce à sa mère des pénétrations digitales ». Le 24 août 2018, l’actrice porte plainte pour viol contre Gérard Depardieu. Charlotte Arnould apprend par la suite que la scène de son viol a été filmée, mais, d’après le compte-rendu, la jeune femme s’est laissée faire. Elle explique alors qu’elle était en état de sidération : « Je me retrouve être la petite fille face à son grand-père, qui obéit, et je n’ai plus aucune prise sur moi-même, sur mon corps, je ne peux rien faire alors que je n’ai qu’une envie c’est de partir en courant ». L’affaire est d’abord classée sans suite, avant d’être réexaminée suite à la nouvelle plainte de Charlotte Arnould en 2020. Cette fois, Depardieu est mis en examen mais cela « ne fait aucun bruit […], le monde du cinéma fait comme si cela n’existait pas et il continue à tourner » dans pas moins de neuf films, dont quatre où il est le personnage principal.
Médiapart publie par la suite les récits de treize femmes accusant Gérard Depardieu de violences sexuelles lors de tournages de films entre 2004 et 2022. En janvier et février 2024, deux autres plaintes sont déposées contre l’acteur, pour des faits d’agression sexuelle lors du film Les Volets verts en 2021.
Depuis ces révélations, Depardieu est tantôt condamné, tantôt défendu. Une soixantaine de personnalités du monde culturel dénoncent un « lynchage » de Gérard Depardieu et publient une tribune titrée « N’effacez pas Gérard Depardieu ». Cette tribune n’aurait pas été singée par Deneuve.
Ainsi, le positionnement de l’actrice, qui se dit « très attachée à Gérard Depardieu », illustre une fracture générationnelle dans la perception du féminisme et de la justice médiatique.
La présence de Catherine Deneuve à la présidence des César 2025 illustre la complexité de sa figure publique. Icône intemporelle, elle incarne à la fois une certaine tradition du cinéma français et une volonté d’aborder des sujets contemporains. Ses engagements passés et présents reflètent une personnalité attachée à la liberté individuelle, parfois en décalage avec les mouvements féministes actuels.
Sa présidence aux César soulève également des questions sur la représentation du cinéma français contemporain. Si son héritage artistique est indéniable, ses positions sur des sujets sensibles interrogent sur sa capacité à incarner une figure de modernité. Ce choix reflète-t-il une volonté de célébrer le patrimoine cinématographique ou témoigne-t-il d’une difficulté à se renouveler face aux évolutions sociétales ?
Malgré son statut, Deneuve a longtemps boudé la cérémonie des César. Elle a exprimé son désaccord avec l’organisation, critiquant notamment un système de vote qu’elle jugeait peu rigoureux. Elle a notamment critiqué le système de vote et l’organisation, estimant que la cérémonie était devenue une « caricature ». Son retour aux César, après 15 ans d’absence, s’apparente moins à un triomphe qu’à une exception consentie pour marquer le 50e anniversaire de la cérémonie. « J’ai changé d’avis juste pour cette soirée-là », a-t-elle insisté, précisant qu’il ne s’agissait pas d’un retour durable dans l’institution.
Dans un contexte où les César cherchent à se moderniser après plusieurs polémiques, le choix de Catherine Deneuve interroge : est-elle encore une figure d’avenir pour le cinéma français, ou symbolise-t-elle une époque révolue ? La réponse viendra peut-être le 28 février, lorsque, sous les projecteurs, elle incarnera cette dualité entre tradition et modernité.
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