Pour ses 18 ans, le festival queer Jerk Off (19 septembre – 3 octobre 2025) investit dix lieux parisiens pour célébrer des identités plurielles et une culture libre, inclusive et engagée. Son directeur, Bruno Péguy, revient – avec la complicité de la chercheureuse, artiste et commissaire de la soirée d’ouverture, Lucie Camous, sur l’importance de la transmission, des cartes blanches et de la place donnée aux émergences artistiques.
Une des forces du festival, c’est que nous sommes là avant tout grâce aux artistes et au public. Et dans cette dynamique, il y a aussi tout un groupe de bénévoles de tous âges, de 16 ans à… beaucoup plus ! Depuis le départ, nous défendons l’émergence. Aller voir des artistes émergents, c’est ce qui nourrit notre jeunesse et notre désir de transmission. Alors que nous sommes le deuxième festival queer le plus ancien d’Europe après Gender Bender à Bologne (Italie), cette existence dans la durée nous pousse à suivre la façon dont la société évolue à partir des propositions artistiques que nous faisons. Nous avons développé une vraie dimension éducative et gagné en maturité. La première édition était surtout centrée sur la musique et les concerts ; aujourd’hui, nous avons progressé, en professionnalisme, en pluridisciplinarité, avec des partenariats de plus en plus solides. Cela permet d’offrir aux artistes de meilleures conditions d’accueil. Comme pour Anthony Martine, que nous avons rencontré il y a trois ans par Sergio Chianca, notre producteur délégué, et Sara Goncalves. Pour cette édition, nous avons suivi depuis le début la gestation de son spectacle sur ses années de prépa, Quand on dort on n’a pas faim, qui aura sa première le 1er octobre au Théâtre 13.
C’est essentiel. Nous sommes un festival queer, et l’une des grandes richesses de nos communautés est leur diversité. Je ne veux pas être le « male cis » qui définit ce qui est queer ou non. Laisser des cartes blanches, c’est vital.
Une belle rencontre, par exemple, a été Lucie Camous. Elle m’avait beaucoup ému avec ses propositions artistiques multiples et variées; par exemple, elle travaille avec des modèles vivant·e·s crips. Concrètement, sur ces sujets, avoir quelqu’un comme Lucie parmi les allié·e·s du festival est précieux. Ce sont des compétences que nous n’aurions pas forcément dans des milieux avec lesquels nous voulons travailler. C’est grâce à elle, d’ailleurs, que dès l’an dernier nous avons rencontré Archi·vif·ves, des dessinatreurices qui ont couvert tout le festival en direct.
Ce travail de groupe avec des commissaires est une grande force. Cela nous permet d’être toujours curieux.se.s, bienveillant.e.s, aller voir partout ce qu’il se fait, et faire confiance. Programmer des œuvres sans les avoir vues est aussi un acte militant. Nous laissons une vraie place aux premières créations, aux tout premiers gestes artistiques.
Crip, qui signifie «estropié, boité, invalide» est, comme Queer, la réapropriation d’un terme stigmatisant. Ensemble, ces perspectives ouvrent des espaces d’alliance où se tissent d’autres récits, d’autres gestes, d’autres esthétiques et visibilisent des subjectivités marginalisées.
Cette soirée, avec No Anger, Marguerite Maréchal, Soleil Ren, CrashRoom.ooo et la collective des Handi-es Tordu-es, se conçoit comme un espace d’expérimentation partagée où les corps et les voix mobilisées viennent dérégler les récits par défaut.
Les Handi-es Tordu-es ont notamment travaillé à la traduction de «Crip Fairy Godmother» de Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha qui s’adresse dans ce texte à une personne nouvellement handicapée pour dévoiler sans détour la violence du validisme : l’oubli, la gêne, l’injonction à guérir, la solitude. C’est surtout un texte qui propose une approche par la communauté des personnes handicapées qui transforment leurs expériences en savoirs, en solidarités. Le handicap y apparaît non pas comme un manque mais comme une source de résistance collective et intersectionnelle.
Nous travaillons en confiance avec des lieux et des artistes. Avec Artagon, nous avons voulu donner à voir un lieu que les festivalier.e.s ne connaissent pas forcément. C’est un endroit essentiel pour les artistes et la création, où nous essayons de suivre des résidents sur la durée. Certains artistes y sont hébergé.e.s jusqu’à 18 mois, et l’année dernière, nous avions repéré de nouveaux résident.e.s tout juste arrivé.e.s. Cette année, nous continuons avec ces mêmes artistes, essayons de les voir plusieurs fois dans l’année et construisons des projets ensemble.
Samedi 27 septembre, de 15h à 22h, en entrée libre, nous organisons plusieurs ateliers de pratiques amateurs avec des artistes pour créer des ponts entre public et créateurices, expérimenter et partager, puis une grande soirée de performances dans le hall d’Artagon, intense et surprenante, où la création envahit tout l’espace.
Parmi les découvertes que nous proposons cette année, Théo Pendle est un coup de cœur. Immergé dans le monde du spectacle depuis l’enfance grâce à sa mère Florence, il explore dans Christina(s) la cohabitation entre auto-affection contemporaine et exacerbation burlesque. Théo rend hommage aux filiations dont sa danse est issue. Sa pièce sera présentée le samedi 20 septembre à 20h au Regard du Cygne.
Oui, bien sûr. On retrouve des artistes et des spectateurices d’une édition à l’autre, parfois plusieurs fois dans la même année. C’est émouvant de les voir grandir avec le festival. Cette année, on retrouve par exemple la photographe et vidéaste Romy Alizée, son nouveau duo avec Plus petit que trois Sainte Randonnée se donne à l’Étoile du Nord jeudi 2 et vendredi 3 octobre, et le Cabaret Fier·e·s, qui revient avec sa poésie astrale et son énergie déchaînée, fidèle à sa façon de faire vibrer le public.
Oui, le sexe reste central et important. L’interroger permet de bouger les lignes, de poser des questions là où ça gratte, et d’ouvrir le débat sur des pratiques et expériences souvent invisibilisées. C’est même présent au cœur de la fête, par exemple lors du bal du 27 septembre au Klub, en partenariat avec le magazine Friction, où sont prévues des robes en satin, des costards oversize et beaucoup de mascara qui coule, quelque part entre métamorphoses et fièvres collectives de tous genres. L’an prochain, nous mettrons également en avant des travailleur.euses du sexe, pour continuer à explorer et faire exister ces univers dans le festival.
Absolument ! Cette 18ᵉ édition signe un vrai retour à nos premières amours : la scène live et les énergies musicales queer. Le jeudi 25 septembre au Point Éphémère, Jerk Off Live réunit quatre figures incontournables : l’artiste non binaire originaire de Martinique Jaj Hope, le compositeur d’électropop baroque Roméo Agid, l’hyperpop intimiste de Thx4Crying. Et c’est la drag fidèle du festival Cuntessa Pinkessa qui orchestre la soirée. C’est une soirée de voix, de corps et de musiques qui frappent, traversent et remuent — exactement l’esprit Jerk Off.
Enfin, dimanche 28 septembre, le Sale Art Salon s’agrandit à la Mutinerie et aux Aimant·es, avec une vingtaine d’exposant·es d’auto- et micro-éditeurs·rices : politiques, poétiques, explicites, minoritaires-minorisé.es et sans censure. Entrée gratuite. Depuis 2021, ce salon, curaté par Maïc Baxane, est un rendez-vous militant et culturel incontournable.
Crédits photos : Lucie Camous (c) Céline Fantino et Bruno Péguy (c) Lou Tuzard