Après vingt ans de bons et loyaux services, le Théâtre en bois de Thionville, initialement conçu pour un temps court, va céder la place à un théâtre construit pour durer. Un événement vécu sous la forme d’un hommage et d’une fête.
Ce vendredi, le Théâtre en bois de Thionville avait des airs de fête : des producteurs locaux venaient y vendre leur marchandise au milieu de guirlandes électriques surplombant les étals. Dans l’atelier de fabrication des décors, les badauds pouvaient découvrir les pièces d’un musée créé pour l’occasion, où l’on passe sans solution de continuité d’une pampille de l’un des fameux lustres du théâtre à un verre en plastique contenant l’urine d’un acteur en proie au trac : au NEST comme chez Duchamp, tout fait musée.
Hommage à la matière inflammable dont était fait ce théâtre tout comme au passé sidérurgiste du territoire, le feu fait figure de héros de cette soirée d’adieu. Des lampions éclairés de vraies flammes, d’immenses photophores de métal et autres formes incandescentes donnent vie à une nuit qui tombe peu à peu. Que les trois coups du spectacle retentissent et nous voilà plongé.es dans des ténèbres rehaussées des points lumineux de briquets éclairant légèrement le visage des acteur.rices.
De – très – courts extraits du patrimoine théâtral sont ainsi chuchotés à la lueur de ces légères flammes, qui évoquent les bougies des anciennes rampes de scènes. La ressemblance n’est pas fortuite : il s’agit, lors de cette pièce au titre programmatique (Déménager les fantômes), de dire adieu aux fantômes de ces spectacles qui ont longtemps hanté les tréteaux du NEST, de les ranger dans une étroite armoire jusqu’à l’ouverture du nouveau théâtre : en 2028. Le texte de Sylvain Levey expose avec légèreté les incertitudes de ces spectres quant au devenir du théâtre, quand la mise en scène d’Alexandra Tobelaim (la directrice du NEST), par ce travail d’ombre et d’obscurité, crée un espace intime aux allures de nid douillet.
Ces réflexions murmurées quant à l’avenir du spectacle vivant ont surgi et ressurgi tout au long de la soirée. Elles s’inscrivent dans l’incertitude liée à la fabrication de ce nouveau lieu encore en devenir, mais aussi dans le cadre d’une inquiétude plus large liée à l’actualité politique. « Le théâtre peut-il changer la société ? », demandait ainsi à Jacques Kraemer (fondateur du Théâtre populaire de Lorraine, prémisse du NEST) une enfant. « Y aura-t-il encore du théâtre ? », interrogeait une autre. Cette soirée sensible et engagée est parvenue à relever une double gageure : dire adieu à un lieu sans donner dans la nostalgie ; inscrire cette cérémonie dans l’actualité politique sans se faire happer par un pessimisme tétanisant.
NEST (Nord-Est-Théâtre) – CDN de Thionville-Grand Est.
Visuels : Julia Wahl