Retour sur la 50e cérémonie des César qui s’est tenue vendredi. Une soirée un peu figée dans le temps, qui a connu quelques moments de grâce, très peu de discours engagés, des prix moins convenus que prévu, et a, finalement, montré un piquant inventif qui s’étiole d’année en année.
On ne s’attendait pas à ce que cette 50e cérémonie sorte de l’ordinaire, mais la pauvreté de la mise en scène, des interstices et des échanges a laissé un goût de déception. Heureusement, quelques discours, emplis de sincérité et d’émotions ont sauvé les meubles et ont pu nous faire imaginer que, peut-être, un vent de renouveau pourrait un jour souffler pour rendre cette soirée de célébration du cinéma français un peu plus pop.
Comme toujours, la cérémonie s’ouvre sur les images des films nommés, ce qui rappelle, pour le coup, aussi les grands absents de ces nominations (Ni chaînes ni maîtres, Les Reines du drame, À son image, All We Imagine As Light, …), puis sur une mini-fiction qui met en scène le maître de cérémonie, Jean-Pascal Zadi. Sur scène, Marion Barbeau danse vêtue de rouge, et Jean-Pascal Zadi monte les marches, porté par une fanfare. Une entrée sobre diront les indulgent•es, pour ne pas dire pauvre voire sans saveur… et ce n’est guère le discours d’ouverture qui va sauver les meubles. Les vannes, rares, tombent à plat, et l’écriture sans relief, ni hommage, manque cruellement de finesse et de tact. Et quand le maître de cérémonie confesse que depuis des semaines tout le monde lui tombe dessus pour savoir quelles revendications il va porter et qu’il déclare que non il ne dira rien (« je viens d’arriver, je ne vais pas me griller »), on soupire, on s’enfonce dans son canapé en se disant que trois heures comme ça… ça va être très très long…
Arrive sur scène « la reine des reines », présidente de cette édition, Catherine Deneuve qui ne va guère éclairer la salle. Elle rend hommage à sa sœur Françoise Dorléac et au cinéma ; elle appelle à ce que l’on fasse encore plus de place à la parité, et finit en dédiant cette soirée à l’Ukraine… un froid glace la salle, tout le monde a en tête qu’il y a quelques minutes, un clash est survenu entre Volodymir Zelensky et Donald Trump.
Puis sur ces bons mots, Deneuve disparaît, s’assoit à sa place dans la salle. Elle ne reparaîtra que trois heures plus tard pour décerner l’ultime César, celui du meilleur film. Voilà tout ? Une présidente prestigieuse, mais engoncée, qui ne pipe mot de rien, ne fait rien ressentir. Celle qui fait vibrer nos écrans depuis des décennies est ce soir si éteinte que l’on se demande à quoi cela servait de faire un tel cirque sur sa venue. On attendait, a minima, un peu de rétro, de flashback, de souvenirs ! 50 ans !! 50 ans de cinéma, ce cinéma que l’on pensait mourant il y a 3 ans après le Covid et qui se porte mieux que jamais, ne méritait-il pas mieux ? Même la remise des César d’honneur à Costa Gavras et Julia Robert manque de saveur… Heureusement que l’éternelle interprète de Pretty Woman et Erin Brockovich éclaire la séquence de sa présence et de son sourire.
Au cours de la cérémonie, comme toujours avec un montage de séquences ou une énumération des noms, il est rendu hommage à celles et ceux qui nous ont quittés cette année, avec, en tête, Alain Delon et Michel Blanc, mais aussi Bertrand Blier et Niels Arestrup, deux mises en avant dont on se serait passé étant donné la misogynie et/ou les accusations qui leur incombent. Des hommages plats, si plats. Personne donc n’avait rien à dire sur Alain Delon ? Ni avait-il pas plus sentimental pour saluer Michel Blanc que les répliques (un peu) poussiéreuses que ce sont échangées Josiane Balasko et Thierry Lhermitte…
Si l’on passe sur les introductions, pas toujours bien senties, de certain•es remettant•es des prix, un vent de fraîcheur a parfois su souffler sur le pupitre. Le sacre mérité de L’Histoire de Souleymane ne peut que nous réjouir, d’autant plus que les couronné•es se sont honoré•es par leurs prises de paroles ; Abou Sangaré tout d’abord avec son César de la révélation masculine, Xavier Sirven (césar du meilleur montage), Boris Lojkine et Irène Muscari pour le prix du meilleur scénario original, et enfin Nina Meurisse pour son césar de la meilleure actrice dans un second rôle. L’autre film salué ce vendredi soir, et ses prises de paroles réjouissantes, est Vingt Dieu : Maïwène Barthelemy repart avec le César de la révélation féminine, et la réalisatrice, Louise Courvoisier, celui du meilleur premier film.
Leurs deux prises de paroles qui font écho au discours de remerciements de Gilles Perret, César du meilleur film documentaire pour La Ferme des Bertrand, un discours engagé et franc, qui dénonce le déterminisme social, qui appelle à ce que chacun•e puisse travailler et vivre dignement, et qui salue le travail des institutions publiques, de l’école à l’hôpital. Un discours politique comme il y en a peu eu sur la scène de l’Olympia pour ce 50e anniversaire qui s’est tout juste paré de coups de projecteurs via des mots rares sur la situation critique de la culture en Belgique et aux États-Unis, et l’attribution de certains prix. On pense par exemple à L’Homme qui ne se taisait pas de Nebojša Slijepčević (César du meilleur film de court métrage de fiction), à Beurk ! de Loïc Espuche (César du meilleur film de court métrage d’animation), à Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau de Gints Zilbalodis (César du meilleur film d’animation), Les Fiancées du Sud d’Elena López Riera (César du meilleur film de court métrage documentaire), ou encore La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer (César du meilleur film étranger).
Si l’on s’attendait à ce que Emilia Pérez empoche un certain nombre de prix, la razzia opérée touche la démesure, d’autant plus par le cumul des prix de meilleure adaptation, meilleur film et meilleur réalisateur qui s’ajoutent aux Césars du meilleur son, des meilleurs effets visuels, de la meilleure photo et de la meilleure musique originale. Un carton plein qui laisse pantois, bien qu’il soit mérité, car Jacques Audiard n’a que peu parlé (réserve-t-il son meilleur discours pour les Oscars ?), et parce qu’il met dans l’ombre l’immense succès de l’année : Le comte de Monte-Cristo. Le succès du box-office repart avec les prix techniques (meilleurs décors, meilleurs costumes). Cette reconnaissance en demi-teinte nous fait penser à tous ces films nommés qui repartent bredouille alors qu’on aurait aimé les voir primés eux aussi : Diamant brut d’Agathe Riedinger, Les Fantômes de Jonathan Millet, Le Royaume de Julien Colonna, Un p’tit truc en plus d’Artus, Miséricorde d’Alain Guiraudie, The Substance de Coralie Fargeat, Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof.
Si Hafsia Herzi, reconnue meilleure actrice, un prix qui salue l’évolution de l’actrice depuis son César de la révélation féminine en 2008, fait des remerciements conformes, quelques personnalités ont (enfin !) réveillé un peu la cérémonie quinquagénaire.
Et en premier lieu cette séquence magistrale sur le César de celui/celle qui n’a jamais été nommé•e aux César ! Et le grand gagnant est Franck Dubosc, acteur émérite souvent boudé et moqué par « la grande famille du cinéma français » (entendez cinéma d’auteurices et surtout pas de comédies grand public). Avec son César de la taille d’un porte-clé, il se moque des convenances et joue le jeu, avec un discours drôle et bien senti. Merci pour ce vent de fraîcheur, Franck empoche le César de notre petit cœur !
Enfin, disons qu’il le partage avec deux autres acteurs qui ont su, vendredi soir, rendre ses trois heures un peu moins fades : Alain Chabat, sacré meilleur acteur dans un second rôle, qui, comme toujours, nous fait rire de sa finesse critique et auto-dérisoire, et Karim Leklou, sacré meilleur acteur. Lui dont la surprise était totale, lui qui a suscité la joie de toute la salle, sincèrement heureuse de voir l’acteur récompensé, lui qui au micro fait l’éloge de la gentillesse, de la douceur. Ce sont des acteurices comme cela que l’on veut pour les cinquante prochaines années, des personnages doux, passionnés, sincères, engagés. Puisse notre vœu être exaucé !