Le photographe Stéphane Fedorowsky allie pour la première fois sa focale et son clavier pour une œuvre magistrale, une version intime et puissante d’un tarot de Marseille très particulier. Rencontre.
C’était il y a longtemps, au moment même de commencer la photographie. J’avais dix-sept ans et j’étais alors très lié à mon grand-oncle d’adoption. Je le surnommais Geppetto. Lui, il pratiquait la tarologie. Un soir, il m’a tiré les cartes. J’étais fasciné, j’écoutais et découvrais ces images pour la première fois. Il m’a donné un rendez-vous sans date ni heure, avec une promesse : un jour nous travaillerons ensemble. Et il a tenu promesse. Sept ans plus tard.
Eh bien, je me formais. J’avais passé une année en école d’art à Paris, suivi de trois ans aux États-Unis. Partout, je continuais mon approche de la photographie argentique et des techniques de développement en chambre noire.
Oui, après sept années sans nouvelles de lui. Je lui parle de mon travail, je lui montre quelques images. Lui me rappelle sa promesse : « Te souviens-tu que je t’avais dit qu’un jour, nous travaillerions ensemble ? C’est aujourd’hui. » Il m’annonce qu’il veut revisiter le tarot de Marseille tout en respectant son côté symbolique avec de vrais personnages humains, et il souhaite que je sois son photographe.
Profondément intrigué, mais j’étais totalement néophyte. Je me suis intéressé sérieusement à l’iconographie du tarot de Marseille. Ses symboles, ses couleurs, sa philosophie, son histoire. Tout cela prenait forme, devenait un éventail de matières. Plus j’avance, plus les questions se font de plus en plus précises et elles se confrontent aux recherches artistiques. Pendant quatre ans, je navigue entre la matière, le conscient et l’inconscient. Les prémices d’une première image se construisent, celle du Bateleur sur laquelle nous testons nos échanges. À ce moment-là, nous avions commencé à penser ce projet ensemble, et puis un jour, sans prévenir, il a disparu.
Au-delà de la tristesse, je me sentais abandonné, j’étais seul, mais son cadeau aura été de me laisser les outils du Bateleur sur la table. Et puis, du temps est passé, encore, beaucoup. Je commence à comprendre que cette rencontre ne me quittera jamais, qu’elle fait partie de moi. Quinze ans après la mort de mon oncle, je ressors mes cahiers, comme ça, comme dans une urgence. Je retourne une nouvelle fois voir la carte du Bateleur.
Le Bateleur, dans sa définition globale, se rend compte de ses capacités, les développe en s’essayant aux outils qu’il rencontre. C’est le début de toute chose, l’ouverture de perspectives.
Bien plus sereine. J’étais simplement prêt. Je savais bien mieux comment utiliser les outils d’hier mais aussi ceux d’aujourd’hui pour parvenir à faire naître ces images. Je savais ce dont j’avais envie. J’avais expérimenté un champ très large dans la composition et les techniques photographiques, et tout se mettait en place. Je pouvais enfin me figurer comment et quelles allures allaient pouvoir prendre ces cartes.
Pour chaque prise de vue, je suis parti d’une photographie noir et blanc du modèle, costumé, maquillé, coiffé et accessoirisé. Ensuite, en postproduction, je monte et j’agence l’image avec les décors créés en parallèle à l’aide de dessins, de collages et de créations numériques, avant d’appliquer les cinq couleurs que l’on retrouve sur le tarot originel : rouge, bleu, vert, jaune et la couleur chair. C’est donc du mixed media. Pour la Lame 13, par exemple, j’ai fait appel à un body painter, François Rose, qui a réalisé un très beau travail sur un nu intégral, pendant une séance nécessitant quatre heures de préparation.
Clairement, car il est aussi pleinement autobiographique. J’ai choisi chaque personnage en fonction de la résonance du caractère de la carte qu’il incarne. Il y a des visages que j’ai perdus, des ami.es, de la famille, des rencontres . Ce jeu de tarot est un puzzle sensible de ma toile de vie.
Je vais vous répondre par quelques anecdotes, toutes relatives à la signification de la carte incarnée ! Le Mat a fait un malaise pendant la séance. Il a passé une heure allongé sur le canapé, les yeux fermés et en costume, avant de reprendre. En allant chercher L’Impératrice, elle a croisé un nombre inouï de gens sur le chemin qui s’adressaient à elle. La Maison Dieu a connu une rupture pile au moment de l’incarner… Je pourrais vous raconter une histoire par carte. Mais ce n’est pas le lieu. Aujourd’hui, ce tarot existe, il ne m’appartient plus.
Pour aller plus loin : le lien vers la campagne Ulule qui s’ouvrira le 31 octobre, et le site de l’artiste.