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Rencontre avec Michel Donadey, luthier à Marseille

par Cloé Assire
13.03.2024

De passage pour quelques mois à Marseille, la rédaction en a profité pour aller à la rencontre de ses artisan.e.s. Derrière les portes des ateliers phocéens, des savoir-faire, des gestes, des parcours, des hommes et des femmes qui se sont exprimés librement sur leur métier d’art respectif et leurs enjeux. Et ça, c’est Cult.

Entrer dans l’atelier de lutherie de Michel Donadey dans le 6e arrondissement, c’est comme pénétrer dans un sauna. L’air est chaud, sec, tandis qu’une forte odeur de bois emplit de suite nos narines. Une véritable expérience sensorielle.  Car être luthier, c’est aussi être vigilant à l’hygrométrie pour prendre soin des différents bois entreposés ça et là, que le maître d’art septuagénaire prend le temps de nous dévoiler. Cheveux blancs méchés de noir, l’œil vif et rieur, Michel continue à travailler pour compléter sa retraite entre quelques cours de yoga et d’aïkido. Et c’est donc parmi des guitares morcelées ou achevées comme dans une œuvre cubiste que nous échangerons aujourd’hui.

Comment vous êtes-vous retrouvé luthier ?

 

Par une folie aventurière. Dans les années 1970, les jeunes n’avaient pas les contraintes que vous traversez actuellement, nous n’avions pas peur de vivre. Travailler pour faire de l’argent n’était pas notre priorité. J’ai tout de même étudié à la fac une maîtrise de mathématiques, physique et électronique. J’y obtenais des notes guère au-dessus de la moyenne. La jeunesse se questionnait alors beaucoup : on se réunissait autour de plats de pâtes, de bouteilles de rouge, angoissés à l’idée de trouver ce qu’on voulait faire de bien pour nos vies. Ce sont des valeurs que nous cherchions avant tout. Le premier de la promotion par exemple est parti élever des moutons.

 

Je vous rassure, ça, ça n’a pas beaucoup changé. (Rires et sourires)

 

Je participais souvent à des manifestations politiques avec mes amis, la FAC était un creuset ! Cela nous prenait beaucoup de temps mais on désirait créer un nouveau monde après 1968. Il y avait dans notre groupe de nombreux réfugiés chiliens et argentins avec qui nous faisions des fêtes pour soutenir leurs actions. Moi qui n’avais jamais fait de musique, j’étais entouré de musiciens.  C’est donc par cet esprit communautaire que j’ai découvert la musique. Et ça mettait beaucoup de vie dans la mienne. Devenir luthier fut un hasard, c’est un métier qui est venu à moi comme est venu un soir mon ami Roger : « Michel ! Nous allons devenir luthiers ! ». Il avait déjà bricolé une guitare.

 

Comment vous êtes-vous formé ?

 

A Marseille, dont je suis originaire, Maître Carbonnel était le seul à fabriquer des guitares. Nous sommes donc allés à sa rencontre, et ce monsieur m’a de suite plu, véritable lion dans son antre. Indépendant. Son propre patron. Je possède une guitare de son père. Mais c’est Joël Laplane, aujourd’hui basé à Pézenas, qui a repris son atelier à l’époque et qui a su tirer son épingle du jeu.

 

Et vous, quelle a été votre épingle ?

 

La recherche de la sonorité comme un peintre travaille sur la tonalité des couleurs. Avec Roger, on s’est formés sur le tas, enfin dans la cuisine avec les couteaux et la cocotte-minute. Au cours d’un bal folk – c’était alors très à la mode – nous avons rencontré André (Dédou pour les intimes). Son père était architecte et vivait dans une villa du 7e arrondissement dont nous avons pu transformer le garage en atelier. Il nous appelait les « farfeluthiers ». Pour vivre, j’étais surveillant à ¾ temps du SMIC dans un lycée. On vivait bien. Ma maîtrise en maths s’est révélée utile en m’aidant à expérimenter les choses dans l’esprit scientifique. Au début, je mesurais tout. Puis, j’ai compris que tout ne se vérifiait que dans la pratique. Comme j’ai été fortement inspiré par les gens autour de moi, leur sonorité, je construis mes guitares par l’écoute et me suis naturellement spécialisé dans les guitares et instruments sud-américains. Ce qui me plaît dans la lutherie, c’est qu’on ne reproduit pas un objet, on le construit en fonction de la sonorité qu’on recherche. On invente avant tout un son.

 

Vous nous feriez écouter la vibration de vos bois ?

 

Michel tapote alors ses pièces en préparation pour un concert d’épicéa, de palissandre de Rio, de cèdre, d’acacia, de cyprès, de citronnier…

 

Effectivement, le bois change radicalement le son…

 

Il faut toujours chercher à harmoniser ses bois pour obtenir le son recherché. Je les achète directement à des importateurs spécialisés : les épicéas de Suisse ou des Préalpes par exemple. Je les choisis toujours peu homogènes, nervés, pour chercher la subtilité du bois et en tirer un son adapté pour mes clients, allant du grand amateur au professionnel. Je construis actuellement pour l’un d’eux une guitare Classique mais qui pourra sonner « Flamenco » avec une table (devant de la guitare) en épicéa léger des Préalpes suisses, un corps en bois espagnol local et populaire qui est le cyprès -mais celui-là est exceptionnel. Le moule que vous voyez sert à maintenir l’instrument dont on voit l’intérieur et sur lequel je viens créer le barrage. Les tables d’harmonie sont faites en cèdre ou en épicéa. L’éclisse (les côtés) donne la forme et enfin on ajoute la table avec ma rosace. Elle est aussi faite à la main avec des filets (fines lamelles) de différents bois assemblés, courbés avant de couper des tranches comme du saucisson pour un design qui m’est propre depuis 1986.

 

 

Combien de temps faut-il pour fabriquer une guitare ? Et combien cela coûte-t-il ?

 

Au maximum, j’ai réalisé 6 guitares en 8 mois avec des barrages compliqués. J’ai aussi déjà passé une année entière sur une guitare, le prix pouvant alors monter à 16 400 €. J’ai d’ailleurs toujours fait des choses compliquées et je me le reproche mais c’est finalement une technique pour m’obliger à réfléchir, émotionnellement. Qu’est-ce que je sens ? Est-ce que je fais un peu plus fin, plus épais ? Vous savez, le prix d’une guitare dépend chez moi non pas du temps passé mais de l’engagement mis. Du lien entre le guitariste et le luthier. La technique ne fait pas tout, loin de là, il faut savoir se faire confiance car ce qui compte c’est l’idée qu’on a en tête. Mes études scientifiques m’ont peut-être permis d’acquérir la capacité de savoir les remettre en cause et prendre alors un autre chemin plus proche de ce qui est la réalité du son. Il ne faut jamais perdre de vue qu’on ne fabrique pas un meuble, mais un son pour une personne spécifique. D’ailleurs, on trouve de très bonnes guitares dans le commerce à 1500 €, si on vient me voir, c’est parce qu’on cherche autre chose qui est dans l’esprit du son, la perle et pas le bijou.

 

Conseilleriez-vous à des jeunes de se lancer dans la lutherie aujourd’hui ?

 

Je pense qu’il y a beaucoup de luthiers pour la faible demande sur le marché. Mon atelier n’a pas de repreneur, j’ai formé quelques personnes passionnées, mais pas suffisamment pour qu’elles se lancent dans une reprise d’atelier… Je ne pouvais pas les embaucher, j’avais juste assez de travail pour moi-même.

 

Et pour finir sur une bonne note, travaillez-vous en musique ?

 

Dans le silence, la radio de temps en temps. Il m’arrive de mettre Radio Sud. Mais il y a trop de publicités aujourd’hui !

Crédits Photos et Vidéos : Cloé Assire & Claire Bonnem