De passage pour quelques mois à Marseille, la rédaction en a profité pour aller à la rencontre de ses artisan.e.s. Derrière les portes des ateliers phocéens, des savoir-faire, des gestes, des parcours, des hommes et des femmes qui se sont exprimés librement sur leur métier d’art respectif et leurs enjeux. Cult.
Il y a quelques mois, nous rencontrions Jocelyn Bellue, sculpteur-ornemaniste sur bois, et son cocker noir, Jackpot. Accolé à son atelier empli de planches de skateboards, de pattes de lions et de têtes de rhinocéros, celui de sa femme, Lucile, que nous avons également eu la chance de rencontrer. Avec sa marque Lucy Luce, elle fabrique entièrement à la main des bijoux d’une infinie poésie, sublimant la banalité du quotidien. Arborant un regard pétillant et un large sourire, Lucile nous invite à vivre avec émerveillement par le biais de ses créations nous incitant à jouer, à penser, à rêver. Ici, les bulles de savon deviennent des bagues et les bagues se métamorphosent en cadavres exquis…
Lucile : Initialement, je créais des volumes à une tout autre échelle…J’ai en effet étudié l’architecture avant de rejoindre les Arts Décoratifs de Strasbourg (rires). Un jour, dans les couloirs de l’école, une porte s’ouvrit sur un atelier de bijouterie. C’est là que tout a commencé. Un grand « Wow » m’a échappé. Il y avait toute une émulation collective et créative autour du bijou contemporain, j’étais comblée par cette dynamique qui me ressemblait. On apprenait la technique en fonction de nos projets, de la réflexion menée autour de nos pièces. C’était très expérimental, on essayait beaucoup de choses. Parfait pour créer sa patte, imaginer son univers. J’ai ensuite enchaîné pas mal de petits boulots après les études et nous sommes partis vivre à Montréal avec Jocelyn. Là- bas, dans une galerie, je suis tombée par hasard sur les bijoux de ma professeure des Arts Décos. Je me suis remise aux bijoux aussitôt : j’ai investi dans un établi sur place et j’ai monté cet atelier à Marseille, dont je suis d’ailleurs originaire, en 2017.
Lucile : Mes objets ont un sens, c’est ça qui m’intéresse : imaginer le concept, et souvent autour d’une émotion. Ce ne sont pas juste de petits objets en métal à porter. Je dois dire que les écritures me poursuivent et sont donc très récurrentes dans ce que je propose. J’ai commencé par des bijoux dans des fortune cookies, avec des phrases visibles ou invisibles gravées dans l’argent, évidemment
personnalisables. On peut par exemple en faire des alliances. J’ai ensuite travaillé sur de petites bouteilles à la mer puis sur des bracelets reprenant l’idée du cadavre exquis, avec des mots à la place des dessins. Il y a ainsi trois rangs qui se juxtaposent, le premier avec des sujets, le second avec des verbes et enfin le dernier avec des compléments. J’appelle cela des « bracelets salle d’attente ». Pour s’occuper, on peut donc former des phrases absurdes. « Un poisson volant colorie le printemps » », ou encore « La clef des champs rêve d’un miroir magique ».
Lucile : Moi aussi (rires). J’ai toujours aimé la poésie qui nous ouvre vers un nouvel univers, un ailleurs qui nous embarque, nous entraîne. Dans ce sens, j’aime beaucoup ma broche « Vase de voyage », une petite broche en forme de vase donc pour collecter les petites fleurs pavant notre chemin. Il y a aussi l’éventail de main, le pendentif décideur qu’on peut faire tournoyer pour nous aider à
départager deux pensées, et cette bague que l’on peut tremper dans ce petit récipient à savon, souffler à travers pour faire une bulle et la récupérer de nouveau sur la bague. Pour porter la bulle comme une pierre précieuse éphémère.
Lucile : En argent majoritairement et en laiton. Mais évidemment, comme je fais tout à la main ici, tout est possible, notamment l’or que j’utilise souvent dans le cas de commandes spéciales, par exemple pour les mariages. Je fais uniquement faire la dorure chez un doreur de la région.
Lucile : Effectivement, ma poésie nécessite plus de matériel ! J’ai par exemple des laminoirs, un chalumeau, des limes, de nombreuses mèches. Il y a ce verbe que j’aime beaucoup, « émeriser », qui signifie polir avec du papier de verre pour nettoyer. J’ai aussi des poinçons pour frapper lettre par lettre mes phrases.
Lucile : D’abord, il y a mon site internet. Ensuite, je fais partie du collectif Pollen qui a une boutique dans le Panier et vend majoritairement aux touristes. Cela me permet de voir du monde : nous sommes douze créateurs et avons une superbe dynamique centrée sur l’entraide. Par exemple, si quelqu’un ne vend pas, nous allons tous ensemble réfléchir pour voir ce qui coince et que tout le monde s’en sorte. J’ai également des revendeurs partout en France.
Pendant que nous écoutons la voix de Lucile et prenons des notes, il s’avère difficile d’être concentré, tant notre âme d’enfant ne peut résister à la tentation de s’amuser avec ses bijoux. Ainsi, je me perds avec la bague Culbuto pour trouver l’équilibre, je fais tournoyer l’hélice d’une autre bague pour m’imaginer prendre le large, je regarde intriguée les pendentifs réservoir à émotions. Car émue, je le suis.
Visuels © Cloé Assire & Lucile Bellue