Jean-Louis-Brun incarne la huitième génération à la tête de Brun de Vian-Tiran dont nous visitions le musée et la manufacture, valorisant des matières naturelles d’exception (mérinos, cachemire, lama, etc.) au sein d’un premier article. Un échange fascinant où M. Brun transmet sa vision innovante du management, ses valeurs portées par les engagements RSE de l’entreprise, le tout indiquant une voie pleine d’espoir pour une industrie plus douce.
Ce prix m’a effectivement beaucoup touché. Beaucoup de prix existent mais celui-ci est délivré en toute légitimité par des entreprises familiales qui démontrent leur responsabilité vis-à-vis des générations futures. Quand on est une entreprise familiale, on s’inscrit dans la durée, on voit forcément à long terme, on prend soin des générations futures car ce sont nos enfants. La Terre n’est pas à nous, mais à nos enfants justement, ce qui est très vertueux. Je crois que le monde devrait raisonner ainsi plus souvent. De plus, ces douze entreprises délivrant ce prix sont toutes des maisons d’excellence. L’excellence permet des salaires élevés dans un pays comme la France où la main d’œuvre est élevée car solidaire par le biais des cotisations. Cela aussi, c’est un modèle vertueux. L’excellence permet également de garantir un cadre de travail passionnant et agréable.
Pour démontrer notre démarche éco-responsable, nous avons effectué un audit de RSE en 2017. Je me demandais s’il fallait que nous obtenions des labels. Tout fut alors passé au crible : l’épanouissement au travail, la polyvalence des employés, le respect de la nature, etc. L’agence de l’eau qui nous suit par rapport à nos prélèvements et rejets nous considère comme non polluants par exemple. Le bilan a été que sans le savoir, nous étions déjà très avancés en termes de RSE.
On embauche souvent les enfants des employés, avec un crédit de confiance immédiat. On a en ce moment un père et son fils dans l’entreprise. Je le croisais quand il avait 14 ans, il venait voir son père à la manufacture. Qu’est-ce que tu veux ? lui demandais-je alors. Travailler ici, m’avait-il répondu. C’est donc chose faite ! C’est la 4ᵉ génération. Les gens en moyenne dans l’équipe de production sont ici depuis 17 ans. Nous sommes aussi le premier client des bergers français, on a toujours valorisé leur laine. On est en effet dans une période où les éleveurs valorisent mal leur laine en élevant principalement les moutons pour leur viande.Mon père il y a 33 ans a lancé une démarche d’amélioration des laines chez les éleveurs, en proposant de payer plus cher leurs laines.
Sans aucun doute, son caractère familial, son excellence, sa quête de transmission, ses engagements éco-responsables et bien sûr sa capacité à innover. Je suis convaincu que si l’on dure dans le temps, c’est parce qu’on innove. Les huits générations ne sont jamais inscrites dans la continuité. Il faut sans cesse répondre à des besoins différents. Transmettre à l’identique n’est pas la solution, dans ce sens je trouve l’image du relai mauvaise car c’est le même témoin qui est transmis. Transmettre c’est évoluer et faire des choix éclairés et responsables. Notre maison est intemporelle, dans ce sens Hermès nous inspire beaucoup. Nous avons toujours innové, avec l’évolution du cheptel mais aussi dans les méthodes de création. Récemment nous avons par exemple mis en place en interne un comité de création sans hiérarchie pour l’établissement du processus de design qui réunit les responsables techniques, commerciaux, des personnes de l’entreprise ou extérieur qui ont un lien avec les tendances, une couturière. On y crée de manière méthodique, il n’y a pas de designer dans cette équipe.Il serait cependant le bienvenu. Si j’ai décidé de mettre cela en place c’est que dans notre culture d’ingénieur, je n’arrivais pas à faire rentrer de styliste, alors je me suis dit qu’on pouvait fonctionner comme aux Arts et Métiers. On se disperse et on se réunit pour tout de suite voir comment avec notre outil de production et les tendances nous pouvons créer quelque chose de nouveau. Il y a une vigilance sur l’ADN de la maison aussi évidemment. J’en suis le gardien.
Ce qui me tient beaucoup à cœur, ce qui me fait renouer avec mon état d’esprit originel d’homo-faber, celui qui fabrique, c’est prendre le flambeau de mon père. Avant d’entrer chez Brun de Vian-Tiran, j’étais ingénieur œnologue sur trois continents. De la même manière, on ne peut pas tricher sur la matière première et le savoir-faire est primordial. J’ai donc quitté ce côté fabricant pour me pencher sur la communication et le marketing qui manquaient à la marque. Mon père continuait à s’occuper de la production. Aujourd’hui, il a 78 ans et nous devons organiser la transition. Et j’ai décidé d’organiser la transmission des savoir-faire d’une nouvelle manière. J’ai appelé cette démarche “La mémoire des savoir-faire” ce qui consiste à analyser tout notre processus, les erreurs que l’on commet, afin d’avoir plus de structuration, de faire en sorte que les manufacturiers communiquent mieux entre eux. Travailler avec une matière versatile comme nous le faisons complique les choses. C’est un peu de la cuisine. Alors on écoute les gens, leurs difficultés, leurs suggestions, pour garder la trace de nos pratiques en faisant preuve de pédagogie. Cela rapproche tout le monde en décloisonnant l’entreprise comme au sein du comité créatif. Il faut que tout le monde connaisse son métier et sache ce que font les autres. Ce n’est peut-être plus un chef étoilé qui sera à la tête de Brun de Vian-Tiran mais des chefs qui vont prendre place.
Je suis fou du bébé lama. Bien sûr, le cachemire, il n’y a rien à dire : mais esthétiquement, je trouve qu’il y a des choses plus abordables et intéressantes. Et le lama et l’alpaga notamment, avec leurs fibres hétérogènes, permettent des produits tellement chauds et douillets. De plus, j’ai fait du vin en Amérique du Sud, au Pérou, et il y avait un lama dans cette propriété. J’étais fasciné par son intelligence. Si le bébé lama était un vin, ce serait un grand Bourgogne.
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