Carnet de Voyage : Carpentras et la bibliothèque-musée Inguimbertine

L’unique bibliothèque-musée de France, la plus vieille synagogue en activité, un marché qui existe depuis Néron, réputé l’été pour ses fruits et l’hiver pour ses truffes, Carpentras ne manque pas d’attrait et la ville se démène pour sortir de l’ombre. Ainsi la bibliothèque-musée Inguimbertine, une merveille XVIIIème vient d’être juste réinstallée dans l’ancien hôpital lui aussi magnifiquement restauré. Tout cela justifie une escapade !

Une architecture délicate

En plein centre-ville, l’élégant bâtiment impressionne par sa démesure et sa beauté architecturale. Difficile d’imaginer que c’était là un hôtel-Dieu destiné aux pauvres. De joyeux pots à feu ponctuent la ligne sobre de la façade de pierre blonde, l’escalier monumental s’élance chef-d’œuvre d’improbable équilibre. « L’ensemble couvre 10000 mètres carrés « souligne Jean-Yves Albouy le conservateur, à comparer au 15000 m2 du Palais des Papes. C’est beaucoup pour une ville de 30 000 habitants.

Un service public avant l’heure

Logée au premier étage la bibliothèque-musée considérée comme un trésor de dimension internationale est créée en 1735 par l’évêque de Carpentras. Celui qui se prénomme Malachie d’Inguimbert apparaît comme un dominicain très doué. Parti à Rome faire valoir ses capacités de fin commentateur des textes religieux il devient bibliothécaire du futur pape Clément XII et retourne un quart de siècle plus tard dans sa ville natale. C’est couvert de gloire et des richesses que lui fournissent ses multiples charges épiscopales qu’il rentre. C’est un homme assez étonnant car il se soucie du peuple qu’il côtoie d’assez près ce qui ne va pas d’ailleurs sans choquer un peu localement. En créant cette bibliothèque-musée il s’inspire de pratiques italiennes. A l’époque Carpentras n’appartient pas à la France mais au Comtat Venaissin qui rappelons-le est propriété des papes de 1274 à 1791. C’est donc un haut lieu de l’influence italienne…

Ce prélat assez novateur décide donc de mêler de façon étonnamment actuelle image et texte, livres et tableaux, objets d’art et de science, rares incunables, découvertes archéologiques et curiosités de la nature. Mais surtout il ouvre cette institution au petit peuple quand seuls les nobles et les religieux ont à l’époque accès à une bibliothèque. C’est de fait la première bibliothèque municipale du territoire français actuel.

Des lieux de travail comme au XVIIIème siècle

Reconstitués à l’identique, les cabinets d’études (des bureaux en somme !) des intellectuels du XVIIIème et XIXème siècle passionnent plus que de classiques period rooms parfois un peu artificielles. Rayonnages et ouvrages sont évidemment d’origine et l’ensemble semble baigner dans un parfum studieux. Parmi les trésors acquis par d’Inguimbert le visiteur découvre un très beau globe terrestre de Blaeu datant du XVème qui prend en compte la découverte du Cap Horn et une délicieuse girafe aquarellée tirée des recueils de Fabri de Peiresc, le dernier humaniste du XVIème. Une bible vaudoise du XIIIème écrite en langue vulgaire…Partout les ouvrages se feuillètent virtuellement mais une visite commentée contextualise vraiment le site et le fait formidablement revivre.

La partie dédiée aux Beaux-Arts s’avère des plus éclectiques. Des paysages très idéalisés de Bidauld comme ce Mont Ventoux revisité ou de Eysseric qui illustra les livres scolaires de Delagrave. Des portraits de Duplessis, le portraitiste de Louis XVI qui peignit le Benjamin Franklin des billets de cent dollars, d’intéressantes scènes orientalistes de Jules Laurens et des œuvres de Valernes, un ami de Degas qui pour Zola représentait la modernité. Une étonnante collection de copies, des jocondes et d’autres célébrités, qui servaient à initier les élèves des écoles des Beaux-arts renseigne sur une certaine histoire de l’art officielle.

Sur les pas des Juifs du Pape

Le parcours historique retrace le destin très particulier du Comtat Venaissin, cet état qui sera rattaché à la France après la Révolution par le premier des référendums ! Ceux que l’on désigne alors comme les « juifs du Pape » y bénéficient d’un relatif refuge et d’un statut très particulier, celui d’être protégé sous conditions. Une riche collection, celle de Cavaillon qui fut médecin à Carpentras au XIXème témoigne de cette présence historique. C’est un fond riche d’objets exceptionnels comme un remarquable livre d’Esther rédigé en provençal à l’aide de lettres hébraïques.

Impossible de faire l’impasse ensuite sur la visite de la fameuse synagogue de Carpentras, la plus ancienne encore en activité (1367). On y admire un bain rituel hiératique et la boulangerie récemment restaurée avec tous les ustensiles anciens pour cuire le pain courant mais aussi le pain azyme (des ateliers pour enfants ont lieu à Pessah). La synagogue elle-même se visite à heure fixe (une visite le matin à 10h30, une autre le soir à 14h30) une très belle lampe de Hanoukka datant du XVIème siècle, un lustre de Murano du XVIIème, , . Des visites thématiques racontent les lois qui s’appliquaient à ces juifs « protégés ». Vivre dans un ghetto par exemple, une rue de 88 mètres (en 1791 quand cette obligation est levée, ils sont mille deux cent à partir), écouter les prédications à la cathédrale, ne pratiquer ni la médecine ni un métier lié à l’écriture, payer de lourds impôts… Il reste qu’actuellement les relations sont à Carpentras plus apaisées qu’ailleurs, la municipalité n’ayant pas choisi de rejoindre les extrêmes.

Le plus vieux marché de Provence

Place des platanes, le marché de Carpentras fourmille chaque vendredi matin. Il vous faudra dénicher Henri Léveillé, un nom qui ne s’oublie pas, sans doute le plus bel étal de fleurs séchées de Provence. Immortelles jaunes, matricaires et monnaie du pape y côtoient les incontournables lavandes. L’office du tourisme propose des visites guidées (ventouxprovence.fr) et c’est utile pour dénicher Courbis le chevrier et Miras le charcutier renommé un peu perdus au milieu d’offres plus banales.

Au XIXème, le canal de Carpentras est creusé qui permettra de développer beaucoup les vergers de cerisiers et d’abricotiers. Carpentras se lancera alors dans la fabrication de fruit confit et dans le berlingot, un produit dérivé (à trouver chez Clavel face à la bibliothèque-musée). Les truffes du Ventoux se négocient elles au marché à partir du 1^er décembre mais vous pouvez les déguster sans attendre chez Serge, la table gourmette locale. Alentour, vous rejoindrez Saint Didier où les nougatiers ont relancé la culture de l’amandier et l’étonnant château de Thézan au parc dessiné par Le Nôtre.  A moins d’escalader le mythique Mont Ventoux !