Valérie Dréville incarne avec virtuosité le « Sentiment de vie » de Claudine Galea

Une vie sous le signe du trouble

Valérie Dréville parle. Ou peut-être est-ce Claudine Galea. Ou peut-être est-ce son père. Ce trouble énonciatif est à l’image du texte de l’autrice, somptueusement dit par l’actrice : un texte ambigu, qui fait la part belle au doute et à l’incertain, au genre lui-même brouillé, entre texte de théâtre, consolation et adresse à un père lui-même ambivalent.

Ce père que la mort rapproche de sa fille était en effet de tous les mauvais combats : ardent défenseur de « l’Algérie française », ancien d’Indochine, il ne jure que par les guerres coloniales. Et pourtant, nous dit Claudine Galea – ou, peut-être, Valérie Dréville – ce père, elle l’aimait et l’aime encore. Comment dire cette relation un peu coupable ? C’est du côté de Falk Richter et de son Secret Garden qu’elle va chercher, ce « jardin secret » où l’auteur allemand étudiait lui-même son rapport à son père mourant. Aussi nous faut-il ajouter un quatrième locuteur possible à ce texte qui, sans cesse, nous échappe : l’auteur de My Secret Garden, modèle de cette missive théâtrale.

Un spectacle virtuose

Cet entre-deux, cette corde raide sur laquelle marche le texte de Claudine Galea est donc avant tout un postulat moral, un refus de tout manichéisme : on peut être un colonialiste et un père aimant, amoureux de Sinatra comme personne. Mais il est aussi un parti pris esthétique, celui de rendre compte des multiples couches dont nous sommes fait.e.s, de nos souvenirs d’enfance aux artistes et écrivain.e.s dont les œuvres et biographies finissent par se fondre dans notre propre vie.

La langue de Claudine Galea, qui trouble avec bonheur l’énonciation tout en réfléchissant sur elle-même, reproduit avec précision la complexité de chaque individu. Le jeu – ou le « dire », tant son travail est subtil – de Valérie Dréville est à l’image de cette écriture, qui rejette tout pathos et connivence excessive avec le public. L’actrice, dirigée par la metteuse en scène Émilie Charriot, nous parle, nous regarde avec simplicité, déroulant avec virtuosité le texte de l’écrivaine.