Génie visionnaire d’un monde à l’agonie, Zweig, à travers l’histoire d’un couple en exil, pose la question vertigineuse du collectif et de l’individuel. Comment on échappe à l’obligation de la masse compacte pour devenir déserteur ?
Un couple allemand vit en Suisse dans l’inquiétude : la guerre est commencée. L’homme est un artiste peintre. Déclaré inapte au service en temps de paix, la guerre qui est commencée menace. Un matin, on lui apporte une missive en provenance du Consulat de son pays à Zurich. Le commandement de district militaire l’a retrouvé. C’est un ordre de conscription. Il est appelé sous les drapeaux. Sa femme lui implore, au nom de la liberté auquel chacun a droit, de ne pas s’y rendre. Lui hésite : sa liberté l’exonérait telle du sens de l’honneur, du patriotisme ? Il se sent incapable de s’enrôler et en même temps incapable de ne pas répondre à la contrainte. Durant la Première Guerre mondiale, Freud, un autre viennois célèbre n’avait connu aucune hésitation. Il avait entre autre rompu, par un patriotisme spontané, avec ses correspondants anglais, en particulier Ernest Jones. La nouvelle de Zweig écrite en 1920 est radicalement audacieuse. Elle s’appelle en allemand Zwang, que l’on peut traduire par contrainte, injonction, obligation. Elle raconte une force invisible, celle de la conscience qui pousse un homme à partir à la guerre malgré les objurgations de son épouse, malgré sa nature pacifiste. Il ne peut s’accepter comme déserteur. Il ploie sous la contrainte. Notre héros, sur le chemin de son enrôlement, croisera un mutilé agonisant. Les justifications philosophiques chutent. La contrainte aussi. La peur du sang le fera rebrousser chemin.
La force de la proposition de Anne Marie Storme tient à une lecture qui se veut aussi littérale que l’acte théâtre le permet. Elle adapte et met en scène la nouvelle de Stéphane Zweig en échappant autant que cela se peut à la littérature. Elle ose le vernaculaire pour couper le fictionnel. Son propos, épousant le biais de Zweig, n’est pas de justifier, de magnifier ou de disqualifier un discours pacifisme ou libertaire qui finira par se dissoudre à la vue du sang. Elle restitue l’équation : Un homme déserte parce qu’il déserte. Rien d’autre. Ni déserteur, ni pacifiste, ni libertaire, ni aucun autre substantif.
Les deux comédiens sont accompagnés d’une musicienne au plateau. Elle représente le narrateur cher à Zweig. Le couple impressionne d’humanité, de singularité. Entre poésie et réalité, ils dansent autour d’un dilemme. Et de cette danse à deux émerge une désertion qui aurait pu ne pas avoir lieu. C’est épatant. Ça donne à penser.
Du 3 au 20 juillet au Théâtre de la Bourse du Travail à 16H00 à Avignon
Crédit photo théâtre de l’instant