Avec le festival d’Automne, le CNDC et Montpellier danse, le TND, autrement dit Chaillot sous Didier Deschamps, a régulièrement programmé la compagnie de Trisha Brown. Un foyer de l’ex-TNP porte désormais le nom de cette figure de la postmodern dance. Danse Cannes lui a rendu un bel hommage à l’Anthéa, le magnifique théâtre signé Patrick Fagnoni avec son impressionnante rampe hélicoïdale, sa terrasse panoramique et sa salle Audiberti de 1 200 places.
La soirée a été présentée par Daniel Benoin, directeur d’Anthéa, et Didier Deschamps, directeur artistique de Danse Cannes. Dans le dossier de presse, ce dernier considère Trisha Brown (1936-2017) comme « une maître ». En lever de rideau, nous avons découvert la pièce de Noé Soulier, In the Fall (2023). Quoique sous influence brownienne, comme nous avons pu le vérifier dès le deuxième ballet de la soirée, le chorégraphe a su imposer sa propre manière qui est épurée, sans bavure ni fioriture et qui relève de l’esprit de géométrie. Ce parti pris janséniste n’a pourtant rien d’austère, nous l’allons voir.
En l’interprétant sans la contrefaire, Soulier rejoint son aînée sur plusieurs points : le minimalisme qui coule de source, la précision gestuelle, les contrastes forts et les enchaînements tombant toujours juste. Les représentantes de la compagnie Trisha Brown, Carolyn Lucas et Thérèse Barbanel nous ont d’ailleurs paru convaincues de la collaboration du chorégraphe « extérieur » Noé Soulier avec la troupe rajeunie mais très douée sur le plan technique. Les costumes stricts, tricolores, signés Kaye Voyce, les modulations lumineuses de Victor Burel et la B.O. à base de bruit blanc de Florian Hecker ont contribué au succès à l’applaudimètre de cette création.
Les deux pièces de la chorégraphe washingtonienne qui ont été retenues pour la tournée européenne sont très différentes l’une de l’autre. Working Title (1985) a de quoi heurter visuellement avec ses costumes bigarrés, dépareillés, informels évoquant le western, les tenues de travail ou, au contraire, de vacances; et, sonorement, avec la world music du tromboniste « free » Peter Zummo qui, soit dit en passant, composa aussi celle de Lateral Pass, créée la même année, même jour, même heure ou quasiment. Les motifs gestuels « asymétriques et imprévisibles » correspondent aux souvenirs de Trisha Brown de promenades en forêt – sujet qu’elle reprendra cinq ans plus tard dans Foray Forêt.
Souvenirs, souvenirs : l’œuvre qui clôt la soirée, For MG : The Movie (1991), initialement intitulée Lever Best. Lever Best, est l’hommage rendu par Trisha Brown à Michel Guy, décédé l’année précédente. Avant d’être ministre de la Culture, celui-ci avait créé le festival d’Automne. Sur les conseils avisés de Bénédicte Pesle, probablement, il avait permis de faire connaître la chorégraphe en France. La pièce est fascinante : énigmatique par sa scénographie floue et embrumée comme certains rêves, le clair-obscur ambiant, la lenteur, l’immobilité et la répétitivité des mouvements et des courses effrénées qui jurent avec le calme apparent et tranchent le paisible écoulement. Le piano désaccordé, pour ne pas dire « préparé », par le compositeur Alvin Curran, finira par s’accorder, qu’on se rassure.
Visuel : Working Title © Sandy Korzekwa/Trisha Brown Dance Company, 2020