L’édition 2025 des Zėbrures d’automne s’achève ce week-end, avec une cueillette toujours aussi variée et enthousiasmante.
C’est là la métaphore employée par Hassane Kassi Kayoute, le directeur du festival, pour décrire ses choix de programmation : celle du jardin, avec ses graines très fraîchement germées, ses jeunes arbustes et ses arbres centenaires. Le pari, mais aussi la fierté des Francophonies, c’est l’hybridation entre ces différentes variétés.
Cette hybridation ne concerne pas le seul âge des compagnies et des artistes. Celle des formes est au cœur du projet, qui voit théâtre d’acteurs et d’actrices se métisser au théâtre de marionnettes, à la performance, à la danse et à la musique. Ce mélange permet d’explorer les différentes façons de faire spectacle d’un même thème.
Ainsi de la recherche de lueur au sein d’un monde toujours plus chaotique : dans Sogra – Une étoile dans le ciel, l’auteur et metteur en scène tunisien Hatem Derbel met en scène la difficile migration de deux femmes fuyant un pays et un passé destructeurs. Il a pour cela recourt à une scénographie très largement inspirée de l’univers de la SF et du jeu vidéo, avec ses écrans qui envahissent la scène et la débordent de toutes parts. Perdues dans cette immensité, le corps des acteurs et actrices paraît minuscule, voué à la disparition.
À rebours de ces choix de mise en scène, l’auteur et metteur en scène François Cervantès a travaillé avec le collectif Kahraba (Tamara Badreddine, Eric Deniaud et Aurélien Zouki) pour proposer une représentation essentiellement sonore de ce chaos qui sourd. Grâce à cette collaboration avec des artistes dont l’univers est très éloigné du sien, il propose une forme où l’hybridation est le principe majeur. Le travail de l’argile, déjà présent dans la pièce Géologie d’une fable du collectif, influe sur la représentation des clowns, personnages récurrents de l’œuvre de François Cervantès. Un magnifique moment de marionnette – constituée simplement d’une pierre, d’un sac-poubelle et d’une tige métallique – crée à lui seul un moment suspendu dans un monde en proie à la violence.
La question féminine est, elle aussi, abordée sous divers prismes scéniques. Dressing room, de l’artiste syrienne Bissane Al Charif interroge la vieillesse sous une forme duelle, qui mêle performance et théâtre documentaire. L’autrice et actrice prépare, au plateau, une décoction destinée à restreindre les effets de la ménopause tout en laissant des femmes s’exprimer, par écran interposé, sur leur rapport à la sexualité, à l’âge et à l’amour, maintenant qu’elles ne peuvent plus procréer. Il ressort de l’ensemble une grande délicatesse et une grande douceur.
Chez l’artiste martiniquaise Daniely Francisque, en revanche, les viols et les coups vécus par des lignées de femmes sont rendus par une écriture et une mise en scène violentes, qui n’excluent pas la danse et la musique. Toutefois, ces dernières sont circonscrites à des moments très particuliers, tandis que la création lumière de Cyril Mulon et le son de Mawongany accordent une large place à la brutalité. À l’horreur de ces parcours où l’espoir est toujours trahi répond la force de cette proposition qui laisse le public exsangue, stupéfait, mais pas indifférent.
L’hybridité des formes embrasse celle des langues : les Zébrures sont de plus en plus polyglottes, marque d’une ouverture toujours plus grande à la diversité du monde. À l’honneur bien sûr de cette édition consacrée au Maghreb et au Moyen-Orient, la langue arabe, sous toutes ses formes.
On le sait, l’arabe est divers, de l’arabe littéraire ou classique à ses multiples avatars dialectaux. Le festival était ainsi l’occasion d’entendre de l’arabe syrien (Dressing room), marocain (Iqtibas, de Sarah M.) ou tunisien (Sogra – Une étoile dans le ciel). Mais aussi du créole (Matrices) ou du farsi avec le concert de clôture de Arash Sarkechik.
Cette polyglossie est hétérographe autant qu’hétérophone : les surtitres de Dressing room passent du français à l’arabe et de l’arabe au français, plongeant le public non arabisant dans la contemplation des vagues de la calligraphie arabe.
Quant à l’hétérophonie, omniprésente, elle sert à la fois à caractériser les personnages (comme l’amant de Matrices) et à faire entendre des sonorités diverses, qui disent la pluralité du monde et accrochent l’oreille du spectateur et de la spectatrice de manière nouvelle, purement sensorielle. Elle est à elle seule tout un programme, métaphore du « Tout-monde » que cherchent à créer les Zébrures et de cette sollicitation continue des sens que sont les arts du spectacle vivant.
Les Zébrures d’automne 2025 est donc une édition sensible et plurielle, cruelle et joyeuse tout à la fois.
Visuel : Matrices, de Daniely Francisque (c) Christophe Péan