Le festival d’Avignon invite, pour la troisième fois, une production du Khashabi Theatre, un théâtre palestinien basé à Haifa, en Israël. Alors que nous avions adoré The Museum, Milk nous avait laissé au bord, ce Yes Daddy est la bonne surprise de la fin de cette édition. Un huis clos radical, dérangeant et terriblement bien joué qui manipule la vérité aux frontières de l’intime.
Avant que tout ne commence, nous découvrons Anan Abu Jabir qui chauffe la salle. Il nous alerte, nous annonce qu’il joue « Amir » et qu’il faudra retenir ce nom. Pour l’instant, l’ambiance est légère, drôle même. Puis le cadre de scène se met en place. Nous voyons un vieillard seul à sa table. Il semble désespérément isolé. Il s’épluche une orange, quand Amir, donc, frappe à la porte. À partir de ce moment-là, le duo s’enfonce dans un récit aux allures de thriller. La porte est verrouillée, le vieux dit avoir perdu la clé, le jeune le presse, enfonce la porte et enclenche un tourbillon de folie.
Makram J. Khoury est une star. Il a 80 ans aujourd’hui, et passe le premier quart d’heure de la pièce gisant au sol, suppliant son jeune bourreau de le relever. Il semble atteint de démence, ne pas savoir qui il est, à quelle date il vit, ni qui est ce garçon face à lui. Son fils, sans doute ? Dans un jeu diaboliquement malsain, Amir tente un Fort-Da sadique. S’il entre et sort, est-ce que le vieux, jamais nommé, finira par se souvenir de son vrai nom ?
Dans ce festival où la représentation de la famille est un fil rouge, Yes Daddy rappelle que le père, et ici même la mère, sont des constructions, des rôles. Il y a un garçon qui rêve de régler ses comptes avec un père odieux, et un père doux qui accepte de faire croire à ce grand enfant tout ce qu’il veut entendre. Tout comme The Museum, Yes Daddy est un pas de deux enfermé et anxiogène. The Museum racontait les dernières heures d’un terroriste condamné à mort face à son geôlier. Ici aussi, il y a de la contrainte et de la soumission.
Amir, qui dans ses premiers mots se présente comme un escort, va humilier le vieillard, ce daddy, jusqu’à provoquer chez les spectateur·ices un profond malaise. L’image est insoutenable. L’homme est dégradé dans sa dignité. Et pourtant, la pièce nous entraîne vers l’un des plus beaux coups de théâtre récents. Elle nous rappelle que parfois, il ne faut pas croire tout ce que l’on voit.
Le duo excelle. Ces deux stars sont des habitués des plus prestigieuses scènes. Anan Abu Jabir fait partie de la troupe du Khan Theater à Jérusalem, et est une figure populaire de nombreuses séries. Makram J. Khoury, lui, est une icône. Il fut, en 1987, le premier Palestinien à recevoir le prix d’Israël. Bashar Murkus et Khulood Basel ont quant à eux fondé le Khashabi Theater en 2011. Ce théâtre palestinien indépendant, refusant toute subvention de l’Etat, autrefois situé au cœur de Haïfa, a perdu son lieu du fait du contexte politique. Il est aujourd’hui nomade.
Dans ce cadre, Yes Daddy peut se lire bien au-delà de son huis clos. Que signifie trahir la mémoire de quelqu’un ? Lui raconter une histoire qui n’est pas la sienne ? Il y a dans Yes Daddy le désir de regarder derrière les portes, de les retourner, de les dégonder. Le spectacle, tant dans le fond que dans la forme, est un immense geste de théâtre. Il nous tient en haleine de la première à la dernière seconde. Pour le moment, sa tournée ne le mène pas à Paris, mais vous pourrez le voir tout le mois de novembre entre Bastia et Montpellier.
في عرض يختبر الحدود النفسية والدرامية، يروي « Yes Daddy » مواجهة مكثفة بين شاب ورجل مسنّ في مشهد مغلق. بلمسة من التشويق، يعرض العرض العلاقة المعقدة بين الذكريات، الهوية، والسلطة داخل العائلة، كما يفتح أسئلة حول من يملك الحق في رواية القصة. أداء رائع من أنان أبو جابر ومكرم خوري في عرض فلسطيني لا يُنسى.
In Yes Daddy, a psychological and theatrical showdown unfolds between a young man and an elderly figure in a locked room. With thriller undertones, the play explores memory, identity, role-playing and familial power dynamics. Performed by two outstanding Palestinian actors, Anan Abu Jabir and Makram J. Khoury, this bold and unsettling production challenges what we think we know. A powerful piece of theatre from the Khashabi collective.
Du 24 au 26 juillet 2025, salle Benoit XII.
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage.